Un gars de 39 ans, père de deux fillettes. Plus de gars de 39 ans, deux fillettes sans père. Voici les conséquences d'une fin de vie en quelques caractères.
L'Ex arrive à l'appartement du gars accompagnée de ses deux fillettes, inquiète. Plus de deux mois sans nouvelles, des rumeurs qu'il avait recommencé à consommer et surtout sa fragilité qu'elle avait côtoyée au quotidien durant quelques années. Un mélange explosif, ou plutôt implosif.
La porte est barrée et son instinct lui crie de téléphoner à la police. Pour une fois, elle suit son instinct. La porte s'ouvre et voilà le gars pendant au bout d'une corde qu'il aura passé une vie à tresser, puis à étirer. Une corde comme un lien entre la vie et la mort. L'histoire ne dit pas si les fillettes ont aperçu leur père ou non. Quelque chose de certain, elles n'ont pas vu leur papa.
Très libéral de nature, le suicide m'affecte moins que la plupart des gens. Même que je le respecte en temps normal. Je le vois parfois comme une longue décision bien murie, lorsqu'il ne vient pas d'un coup de tête. De toute façon, qui suis-je pour juger de tout ça? Je ne connais même pas le gars, n'ai jamais vu ses fillettes de ma vie et ne les verrai jamais. Qui suis-je, je le répète, pour juger de ça?
Que le père de deux fillettes qui ont besoin de lui. Qui viennent le coller chaque matin, qui lui lavent les cheveux lorsque je leur donne le bain le soir, qui font des calins à faire fondre le coeur, qui lui disent des "je t'aime gros comme..." qui recousent les trous dans le coeur.
Et ce que je vois dans cette histoire, c'est l'après-choc. C'est deux fillettes qui se demanderont toute leur vie si elles étaient assez belles pour qu'on veuille bien rester auprès d'eux. Deux petits bateaux qui ont perdu leur phare et qui se cogneront peut-être contre tous les récifs. Pourvu qu'elles ne prennent pas l'eau... Leur tsunami, ils viennent de le prendre plein la gueule.
Ne reste qu'à espérer qu'ils trouveront quelqu'un pour leur dire que ce n'est pas eux que leur père a abandonnées mais tout le reste.
Alors, pour deux petites poulettes que je ne connais pas, une chorégraphie de Mia Michaels qui s'imagine sa rencontre avec son papa au ciel...
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10 commentaires:
Enseignant: Quand on décide d'en finir, il n'y a plus grand-chose pour nous retenir, je crois. On se supprime aussi parce qu'on trouve que les deux fillettes seront mieux sans un père losser, alcoolique ou dépressif.
J'ai connu un épisode dangereux dans ma vie. Mes amies ont dû me protéger contre moi-même. Je ne me souviens plus du nombre de soirs ou je n'ai pas dormi chez nous et ou je crèchais chez des bonnes âmes qui faisaient juste me border et s'assurer de me superviser un peu.
L'amour que j'avais pour ma fille et l'amour qu'elle avait pour moi ne suffisait pas à calmer la peine, la détresse et la haine. J'ai failli partir pour ne plus revenir.
Encore aujourd'hui, je ne me comprends pas. On est dépossédé dans ces moments-là, ou plutôt peut-être possédé justement.
Mes grandes amies, un entourage tissé serré, du temps, beaucoup de temps. On se relève dificilement et même aujourd'hui, je demeure fragile.
L'amour de ma fille m'est précieux, mais il ne m'a pas sauvé de moi. Mourir aurait été égoïste, mais rendu dans ce pays noir qu'est la dépression, on s'en fout un peu, tu sais. On pense seulement à sa souffrance et à la tuer, à se tuer.
Merci beaucoup PM, c'est très précieux ce que tu confies là. Pour nous aider à comprendre, surtout la force du repli sur soi dans des situations semblables.
Je ne connais pas la dépression. Je l'imagine comme un énorme trou noir, qui a absorbé toute l'énergie vitale et les pensées positives et constructives. Alors, le suicide devient vraiment une porte de sortie?
Tellement de questions à se poser pour baisser les statistiques chez nos jeunes hommes. Pour cesser de faire des orphelins et des orphelines à la pelletée.
Merci de ta générosité.
Mon voisin. Un gars superbe, ayant une femme superbe et deux garçons superbes.
La voisine frappe sur ma porte comme une déchaînée. J'ouvre. Elle tient ses deux fils par la main, elle a ce visage,,, ce visage... "Prends les gars, prends les gars." Je pousse les gars à l'intérieur en criant à mon mari de venir. Je ferme la porte et lui demande ce qu'il y a."Il s'est pendu dans le cabanon." J'ouvre la porte, je crie à mon mari de sortir avec elle. J'amène les garçons dans le sous-sol. Je les colle contre moi. Ils pleurent, ils crient, ils pleurent. Ils ne savent pas. Je caresse leurs cheveux.
Pendant ce temps, mon mari va décrocher M. Il essaie de le réanimer, la voisine aussi. Ils se relaient. Ils se relaient. Les ambulanciers arrivent et tout le reste... Il est trop tard.
Il était superbe, je vous dis. Il était entraîneur au hockey, dévoué pour ses fils. Il est parti avec sa veste de hockey sur le dos, la photo de ses fils dans sa poche. Il n'a pas laissé de lettre.
Les garçons...Ces beaux garçons...
Elle...Aussi magnifique que lui...
Nous n'avons jamais compris. Sauf que c'est l'aboutissement d'une profonde dépression.
Il avait sauvé la vie de ma fille qui était tombée tête première dans leur piscine. Il avait plongé tout habillé. Il m'avait ramené ma Rose bien enveloppée dans une grande serviette chaude. Ce qu'il était bon pour les enfants.
Cela fait 6 ou 7 ans qu'il est mort. Il avait 40 ans. Les garçons mordent dans la vie. Ils sont de beaux grands jeunes hommes actifs, joyeux et heureux. Elle a un amoureux. Elle a eu cette attitude admirablement forte pour ses fils.
Je connais cette éteigneuse de courage, cette voleuse d'années de vie, briseuse de projets de vie importants, essentiels, mise à zéro de la résilience.
Ta fragilité, PM, je la partage. Un peu de résilience retrouvée, avec des limites bien claires.
Heureusement, je ne suis pas une éponge et je peux écouter, accompagner, ce qui est un grand bonheur, puisque cela permet la communication, le don, le partage, mais le sens de la vie, il glisse parfois entre les doigts.
Cela permet de créer des liens avec ce beau coeur sensible qui nous fait la joie d'écrire ici. Qui va trouver sa voix, sa voie, son bonheur, c'est sûr. Et si je peux y ajouter, y contribuer juste un tout, tout petit peu, je n'aurai pas tenu un blogue pour rien.
Malgré des habitudes de bonheur, cette tueuse attend toujours dans le détour, souvent quand on ne s'y attend pas. Une absence, un silence, l'appréhension d'avoir déçu et pfff... Travailler sur soi, c'est épuisant, aussi...
Zed
En Saignant,
il faut non seulement du courage, mais une immense sensibilité pour parler du suicide comme vous le faites ici. J'ai perdu tant de gens que j'aimais de cette manière ( dont mon frère unique, que j'adorais ), et j'espère que je ne supprimerai pas ce commentaire, après un aveu aussi intime.
Je suis une éponge, contrairement à Zed, qui aide tant de gens, et si je l'avoue c'est qu'il faut être honnête envers soi-même. Sa grande sensibilité rejoint la mienne, tout en étant plus efficace. Et je crois aussi que Blondinette et vous êtes un couple solide, chacun étant présent pour l'autre. Du moins c'est l'impression que j'ai en lisant vos textes.
J'aime le commentaire de Prof masqué, car je suis fragile aussi, et je crois que beaucoup de gens le sont. Il faut se surveiller sans cesse, pour éviter la tentation du vide, le repos absolu...
Lise,
Parler, c'est se construire et contribuer à la construction des autres. Nous avons toujours besoin d'ajouter des briques, de rénover, d'agrandir. Parfois, juste de se soutenir soi-même est un défi. C'est alors si important d'être solidaires les uns des autres.
Ta parole est importante.
Et bien sûr, toujours merci à En Saignant d'ouvrir et son coeur et cet espace de questionnement.
Je t'embrasse, En Saignant, Zed
En saignant: je ne sais pas si le suicide devient une porte de sortie. Je crois qu'il est une porte vers n'importe ou ailleurs que ici et maintenant souffrant.
Si ma grande sensibilité m'a fait tout ressentir au cube, mon côté verbalisateur m'a permis de nommer les choses, de me les dire et de les voir. Sans cela, les «grandes ailes noires de la nuit» (i.e. ma dépression) m'auraient enveloppé pour m'amener ailleurs.
C'est cette capacité à nommer, à désigner, à échanger qui m'a sauvé la vie.
Combien de garçons, d'hommes manquent de mots pour décrire leurs souffrances, pour la partager?
C'est ce qui m'écoeure le plus de notre système d'éducation. On forme des jeunes qui n'arrivent pas à dire et qui meurent de ne pas savoir parler, exprimer.
Je ne blâme pas les vivants, ceux qui sont autour de ceux qui partent de la sorte. Dans certains cas, la douleur est si grande, si profonde chez ceux qui souffrent qu'on ne peut même pas la voir. Comment être à l'écoute quand il n'y a rien, plus rien à entendre?
Professeur masqué,
Outre tes habiletés de paroles, essentielles, tu sais que je le crois, tu as eu la chance d'avoir des interlocuteurs/trices.
On n'a pas tous/tes eu les habiletés psychologiques, sociales, pour se construire un réseau concret.
Parfois, il n'y a rien à entendre parce que ça n'intéresse personne ou que les gens qu'on aime ont les oreilles bouchées. Pour toutes sortes de raison, qu'on ne peut pas juger non plus. Les voit-on, nos silences à nous? Se regarde-t-on, eu égard des autres?
Synchronicité?
J'observe En Saignant, qui a aussi la chance d'avoir des interlocuteurs/trices.
Regardez son écriture. Le coeur, la sensibilité, il en a toujours eu, ils ont toujours été présents.
Ce qui me fascine, c'est le rapport entres l'évolution de ses idées et son style d'écriture, ses constructions, ses scénarios, tout ce qui fait partie de la qualité d'une écriture.
Celle-ci apparait de plus en plus étincelante, ouverte, claire, fluide, débordante de créativité.
Comme j'ai de l'admiration pour cette belle âme. Et tant d'affection.
Mais ne lui dites pas trop... Il pourrait s'enfuir. D'ailleurs, où est-il?
Zed
Parfois, les commentaires deviennet un billet en soi. Et dans ces moments-là, ne reste qu'à se taire et lire, c'est tout.
Zed, je ne suis jamais très loin, malgré ce que je laisse paraître. Demande à Prof en Exil...
Me dis pas que vous travaillez tous à la même école? Meuuuhhh...
Zed ;-)
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