lundi 12 janvier 2015

Je triche...

... et je vous écris en les regardant ce matin.  Je peux sentir leurs cerveaux enneigés qui peinent à se réveiller.  Certains observent chacun de mes gestes, attendant que je débute mais moi-même, j'ai janvier à travers la gorge, déjà.

Je suis fatigué et je ne peux pas fermer la porte de mon bureau ou m'attarder des minutes de plus à la machine à café.

Et surtout, il y a ces odeurs de Blondinette, de la Loutre, du Koala et de l’Héritier qui  ne me quitte pas, qui ne veulent pas s’enlever malgré le quotidien qui tape du pied pour reprendre sa place.

Je suis un clown grassement payé pour instruire vos enfants et mon spectacle commence.

Maintenant.


vendredi 9 janvier 2015

Des bêtes et du fluide


On sous-estime souvent la hargne des élèves de maternelles.  Ils aiment mordre, crier, frapper... Ils me font peur.

Ils devraient avoir leur Docu-D.
***
AVERTISSEMENT:  Les images qui suivent pourraient ne pas convenir à certains téléspectateurs, surtout des profs du préscolaire qui y verront une représentation exagérée et pas du tout réaliste de leur quotidien.

Observons maintenant nos deux spécimens qui s'approchent l'un de l'autre, hésitants. 
Mario, parce que les noms pas trop hots des années 70 reviennent à la mode, est un jeune de la "Tribu des Baveux".  C'est à dire qu'en plus de frapper, crier et mordre comme les autres tribus, il bave.  En faits, il bave tellement que ça glisse.  
Et puis, il  y a Wilfrid.  Lui, il est de la tribu des yeux longs.  "Yeux longs" comme dans yeux bridés, mais à l'envers.  Dans le fond, appelons-le "Yeux fatigués", ce sera plus facile à imaginer...

On voit les yeux de Mario qui ont aperçu un camion gisant seul au fond de la classe.  Wilfrid l'a aussi aperçu.  Puis, Mario a aperçu Wilfrid et Wilfrid a aperçu Mario.  Il y a aussi Noémie qui a aperçu Mario mais elle n'a pas aperçu Wilfrid qui est caché par une bibliothèque sur roulettes.  Mais ne vous attachez pas trop vite, elle n'a rien à voir dans l'histoire.

Donc, Wilfrid et Mario sont immobiles et se regardent d'un oeil, regardent le camion de l'autre, et se grattent à de drôles d'endroits comme seuls des enfants de cinq ans savent le faire.  

Ils s'étudient.  Mario bave, Wilfrid grogne.  Le petit Samuel regarde l'action, un Ficello à la main.  Un Ficello rendu tout bleu parce que Samuel a fait de la peinture avant de manger son Ficello.  

Je n'aime plus les Ficello depuis mon stage en maternelle.

Il y a un rapprochement.  Mario s'avance rapidement vers Wilfrid pour l'empêcher de lui même s'avancer vers le camion.  Mais il n'a pas vu l'enseignante Manon s'avancer elle-même vers lui.  Et il ne la verra pas avant de frapper Wilfrid car cette dernière s'étend de tout son long dans la mer de liquide organique dont Wilfrid a généreusement saupoudré le plancher de la classe.

Ce qui s'en suit est une scène typique de maternelle.  Il y a des cris, beaucoup de larmes, un peu de sécrétions.  Je vous épargne les détails.
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Je change de "canal".  Les bêtes sauvages me font peur...

mercredi 7 janvier 2015

Je suis Charlie

Ce matin, je me souviens de J.  Toute jolie, toute souriante.  Un jour, elle vient à mon bureau.

-Je peux te parler, Ensaignant?

Je l'ai écouté du mieux que je le pouvais à cet époque.  Mais dans ce temps-là, j'émettais plus que je recevais.

-Les gars de la classe, ils ont écrit que j'étais une bitch pis une pute sur les bandes de la patinoire pis ça m'écoeure.

Sur l'heure du midi, j'ai été faire un tour sur la patinoire située juste derrière l'école et j'ai vu les mots des gars,  les maux de J.

L'intervention a été courte et efficace.

Le lendemain, je retrouve J. en larme à son bureau durant la récréation.  De nouveau, je me la ferme et j'écoute.

-Les gars me traitent de snitch...

Et elle n'a plus souri pendant longtemps.

Encore aujourd'hui, je ne comprends pas cette façon de penser.  Peut-être parce que parmi la pleiade de défauts que je possède, la méchanceté n'en fait pas partie.  Peut-être parce que je crois que les victimes ont le droit de parler, tout comme les agresseurs ont le droit.

Je suis un has-been.  Peut-être même un never-been.

J'écoute les infos de ce matin et je pense à J.  Elle était un peu Charlie.  Je le suis aussi.  Vous l'êtes aussi, si il y a autre chose que de l'absence par ici.

Et notre gueule, même si c'est moins souvent, moins longtemps, elle va rester bien ouverte.