mercredi 22 février 2017

COUCOU

J'ai toujours détesté ce mot. 

COUCOU!

Et c'est encore pire quand on met un point d'exclamation après.  Parce que ça fait trop joyeux.  Trop fake-joyeux.  Trop hop-la-vie.  Trop selfie-de-joie-d'être-en-voyage-pis-devant-une-assiette-qui-va-vous-faire-chier-d'être-pognés-dans-votre-ville-de-marde-pendant-que-moi-je-me-prélasse-en-Italie-pour-faire-comme-Josée-Distasio.  Et j'aime mieux la mélancolie.  Donc, je recommence.

COUCOU!?!

Voilà.  Ce que la ponctuation peut changer.  Si les dires de Donald Trump étaient accompagnées de signes de ponctuation visibles, tout serait mieux, non?  Peut-être pas.

Donc, me voilà, dix ans plus tard, de retour au même endroit.  Les tempes grisonnantes sont devenus une perruque grise de mauvaise qualité qui perd ses poils.  Le bedon toujours bien rond, Blondinette toujours au bras, Loutre, Koala et l'Héritier toujours bien accrochés aux jambes.  Chanceux de ne pas être tombé plus souvent.

La réserve d'énergie n'est plus ce qu'elle était auparavant.  Quelques drames se sont bien chargés de la mettre à l'épreuve et en ont volé une bonne partie.  Au début, je croyais que c'était un emprunt.  Deux ans plus tard, je commence à douter.

J'enseigne toujours.  Dans un quartier défavorisé, toujours.  Je m'éloigne de plus en plus de la génération de mes élèves. À 44 ans, j'ai maintenant quatre fois l'âge de certains.  Et je les juge de plus en plus.  Les comprends de moins en moins.  Je suis mûr pour une chaise berçante.  Au moins, le grincement des berceaux cachera la musique qui sort de leurs écouteurs.

Je m'ennuie toujours de Zed, de PMT, de PM, de Gooba et des autres.  Que sont-ils devenus?  J'ai un contact avec certains.  Ils sont beaux, dans la vraie vie, tsé.  Moins edgy que leurs patronus, mais tripant quand même.

Dans le fond, je reponctue (ouais...) de nouveau:

COUCOU...

Trois points de suspension comme une douce mélancolie.  Comme une nostalgie douce-amère de jours pas meilleurs, juste différents.  Une constatation du temps qui passe et qui nous grignote.   C'est pour ça qu'on voit toujours la faucheuse illustrée en un squelette mince et élancé. 

Elle mange nous mange lentement.













lundi 12 janvier 2015

Je triche...

... et je vous écris en les regardant ce matin.  Je peux sentir leurs cerveaux enneigés qui peinent à se réveiller.  Certains observent chacun de mes gestes, attendant que je débute mais moi-même, j'ai janvier à travers la gorge, déjà.

Je suis fatigué et je ne peux pas fermer la porte de mon bureau ou m'attarder des minutes de plus à la machine à café.

Et surtout, il y a ces odeurs de Blondinette, de la Loutre, du Koala et de l’Héritier qui  ne me quitte pas, qui ne veulent pas s’enlever malgré le quotidien qui tape du pied pour reprendre sa place.

Je suis un clown grassement payé pour instruire vos enfants et mon spectacle commence.

Maintenant.


vendredi 9 janvier 2015

Des bêtes et du fluide


On sous-estime souvent la hargne des élèves de maternelles.  Ils aiment mordre, crier, frapper... Ils me font peur.

Ils devraient avoir leur Docu-D.
***
AVERTISSEMENT:  Les images qui suivent pourraient ne pas convenir à certains téléspectateurs, surtout des profs du préscolaire qui y verront une représentation exagérée et pas du tout réaliste de leur quotidien.

Observons maintenant nos deux spécimens qui s'approchent l'un de l'autre, hésitants. 
Mario, parce que les noms pas trop hots des années 70 reviennent à la mode, est un jeune de la "Tribu des Baveux".  C'est à dire qu'en plus de frapper, crier et mordre comme les autres tribus, il bave.  En faits, il bave tellement que ça glisse.  
Et puis, il  y a Wilfrid.  Lui, il est de la tribu des yeux longs.  "Yeux longs" comme dans yeux bridés, mais à l'envers.  Dans le fond, appelons-le "Yeux fatigués", ce sera plus facile à imaginer...

On voit les yeux de Mario qui ont aperçu un camion gisant seul au fond de la classe.  Wilfrid l'a aussi aperçu.  Puis, Mario a aperçu Wilfrid et Wilfrid a aperçu Mario.  Il y a aussi Noémie qui a aperçu Mario mais elle n'a pas aperçu Wilfrid qui est caché par une bibliothèque sur roulettes.  Mais ne vous attachez pas trop vite, elle n'a rien à voir dans l'histoire.

Donc, Wilfrid et Mario sont immobiles et se regardent d'un oeil, regardent le camion de l'autre, et se grattent à de drôles d'endroits comme seuls des enfants de cinq ans savent le faire.  

Ils s'étudient.  Mario bave, Wilfrid grogne.  Le petit Samuel regarde l'action, un Ficello à la main.  Un Ficello rendu tout bleu parce que Samuel a fait de la peinture avant de manger son Ficello.  

Je n'aime plus les Ficello depuis mon stage en maternelle.

Il y a un rapprochement.  Mario s'avance rapidement vers Wilfrid pour l'empêcher de lui même s'avancer vers le camion.  Mais il n'a pas vu l'enseignante Manon s'avancer elle-même vers lui.  Et il ne la verra pas avant de frapper Wilfrid car cette dernière s'étend de tout son long dans la mer de liquide organique dont Wilfrid a généreusement saupoudré le plancher de la classe.

Ce qui s'en suit est une scène typique de maternelle.  Il y a des cris, beaucoup de larmes, un peu de sécrétions.  Je vous épargne les détails.
***
Je change de "canal".  Les bêtes sauvages me font peur...

mercredi 7 janvier 2015

Je suis Charlie

Ce matin, je me souviens de J.  Toute jolie, toute souriante.  Un jour, elle vient à mon bureau.

-Je peux te parler, Ensaignant?

Je l'ai écouté du mieux que je le pouvais à cet époque.  Mais dans ce temps-là, j'émettais plus que je recevais.

-Les gars de la classe, ils ont écrit que j'étais une bitch pis une pute sur les bandes de la patinoire pis ça m'écoeure.

Sur l'heure du midi, j'ai été faire un tour sur la patinoire située juste derrière l'école et j'ai vu les mots des gars,  les maux de J.

L'intervention a été courte et efficace.

Le lendemain, je retrouve J. en larme à son bureau durant la récréation.  De nouveau, je me la ferme et j'écoute.

-Les gars me traitent de snitch...

Et elle n'a plus souri pendant longtemps.

Encore aujourd'hui, je ne comprends pas cette façon de penser.  Peut-être parce que parmi la pleiade de défauts que je possède, la méchanceté n'en fait pas partie.  Peut-être parce que je crois que les victimes ont le droit de parler, tout comme les agresseurs ont le droit.

Je suis un has-been.  Peut-être même un never-been.

J'écoute les infos de ce matin et je pense à J.  Elle était un peu Charlie.  Je le suis aussi.  Vous l'êtes aussi, si il y a autre chose que de l'absence par ici.

Et notre gueule, même si c'est moins souvent, moins longtemps, elle va rester bien ouverte.


lundi 23 juin 2014

Juin

Je n'ai jamais aimé les départs.  Je crois que je n'aime pas que les choses changent, tout simplement.  Je fais partie de ces êtres insécures qui peinent à s'adapter à leur milieu.  Ils ont besoin que tout y soit classé, bien étiqueté.  Et alors, ils peuvent s' épanouir.  Puis, quand un départ survient, c'est comme un grand coup de vent qui vient tout foutre en l'air.  Et plus la personne qui part est importante, plus le vent est violent.  Et des étiquettes, ça ne résiste pas très longtemps à l'ouragan qui s' annonce.


Cette semaine, c'est un peu ma demi-soeur que je perds.  Celle du divan.  Celle des fous rires.  Celle des blagues salées et des taquineries.  Celle des jeudredis, sortes de préliminaires aux weekends où tout est permis.  Je perds aussi une paire d'oreilles comme il s' en fait peu.  Des oreilles qui ne jugent pas.  Des oreilles réconfortantes, qui accueillent les confidences avec un sourire plein de compassion.  Cette compassion qui grandit en nous lorsque bien arrosée par une magnifique sensibilité.

Et ce regard noisette toujours dirigé vers des idéaux,  vers du mieux, vers du plus loin.  Et qu'arrive-t'il quand on ne voit plus assez loin?  On regarde ailleurs.  Et on s' y dirige.

Je perds gros comme ça.  L'école,  encore plus.

À bientôt l'amie.  Ça fait moins mal qu'un adieu.



samedi 16 novembre 2013

Le bonheur à 6$

Sortie à l'opéra pour aller voir Falstaff.  Il arrive, fier dans sa chemise rose trop grande pour lui et une immense cravate grise au cou.

-Regarde Ensaignant, ça m'a coûté six piastres pour les trois morceaux!  Ça coûte pu cher maintenant se mettre chic!

Je l'ai complimenté.  Il a rentré sa chemise dans son pantalon et à serrer un peu sa cravate.

Puis je suis retourné à ma page web qui annonçait des spéciaux pour des systèmes de cinéma-maison.

mercredi 23 octobre 2013

Pourquoi enseigner? (notes éparses)


-L'enseignant, mon fils me dit que vous lui avez enlevé son lecteur de MP3.  Pouvez-vous lui remettre s.v.p.?
-Je vais lui remettre mais à la fin de la semaine seulement, comme convenu avec lui.
-C'est qu'il ne peut s'endormir le soir sans écouter sa musique.
-...

Pis après ça, on s'étonne qu'il ne garde pas le silence lors des périodes de lecture.  "Le silence tue", doit-il se dire.

***

On nous demande à nous, les profs, de faire tout ce que les parents n'ont pas le temps de faire à la maison.  Et du temps, il en manque partout dans les familles.  On doit les former comme futurs gardiens, les amener en sorties, leur montrer comment on fait un bébé et surtout, comment on n'en fait pas, leur montrer à prendre les bonnes décisions (il existe un tas de programmes là-dessus, c'est suprenant!), à se tasser lorsqu'on croise une personne âgée sur le trottoir afin qu'elle n'ait pas besoin de grimper la clôture pour ne pas se faire piétiner, à ouvrir son cadenas au secondaire (le stress passé par tous les intervenants du passage primaire-secondaire, c'en est pathétique)...

En plus de...

Les avertir quand mettre du déo, comment ne pas mettre trop de Axe, comment manger proprement, comment pisser dans la bol...

En plus de...

Toutes les affaires scolaires, quand il nous reste du temps.

***

-L'enseignant, mon fils n'a pu faire ses devoirs hier soir car nous sommes revenus tard de chez sa tante.
-Votre soeur?
-Bien non, sa tante.
-La soeur de son père?
-Non, sa tante à lui.  
-...

Essayer de comprendre les familles d'aujourd'hui et leur constitution, c'est plus compliqué que d'apprendre les lois régissant les états américains.

***
  Le plus beau, là-dedans, c'est qu'on ne peut pas se plaindre.  Je dis depuis longtemps que nos conditions de travail sont trop généreuses.  Et là, je sais que j'embarque sur un terrain glissant.  Mais ne vous en faites pas, je porte un casque.  Plus pour me protéger des coups sur la tête donnés par les autres profs que par peur de glisser cependant.

Les 7 où l'on ne travaille pas sont perçues ainsi, selon le prof et sa résiliance:
  • 7 semaines de vacances
  • 7 semaines de mise à pied forcées (on n'a pas de 4%, non?)
  • 2 semaines de convalescence et 5 semaines de vacances (on est les seuls à rusher au travail au 21e siècle)

On devrait apprécier chacune de ces journées, avec l'interdiction formelle de faire l'un de ces trucs-là:
  • Revenir en septembre et se plaindre de la température (peut-être penser un peu plus à ceux qui ont seulement 2 semaines et qui ont eu autant de marde que nous sur la tête).
  • Se plaindre en chorale le 22 août au soir et faire chier nos "amis" Facebook qui eux, on encore une fois eu 2 semaines de vacances.
  • Arrêter de se plaindre que les pubs du début août nous rappellent notre retour prochain au travail (qui sera fait trois semaines plus tard, soit une semaine de plus que ceux qui, toujours, n'ont que deux semaines de vacances) .
Et je pourrais en rajouter.

Mais l'essentiel auquel je veux en venir, à travers mes multiples parenthèses, c'est que si nos conditions de travail étaient un peu moins intéressantes, ces deux trucs-là se produiraient:
  • Les gens arrêteraient de nous envier et commenceraient à respecter les exigences de notre travail et ce, même devant leurs enfants.
  • La rapace qui nuit à notre réputation (lire: les profs qui n'ont aucune aptitude en gestion de classe, aucun instinct de pédagogue ET aucun charisme) se sauverait du métier au lieu d'attendre leur 70% de pension.
***

- C'est normal qu'il n'aime pas l'école.  Je n'ai jamais aimé ça moi non plus!
-Et vous lui avez dit?
-Bien certain!  Il faut être honnête avec nos enfants!
-Vous lui dites, parfois, que vos journées sont longues en pyjama?
-...

Celle-là, elle vient de ma tête.  Mais ça fait du bien...

***
Pourquoi enseigner?  Parce que j'aime ça encore.  Est-ce que j'adore ça, comme avant?  Non.  Un peu comme un vieux couple.  Un amour tranquille dans lequel se pointent parfois quelques printemps.

Un peu comme un blogue, à bien y penser. ;-)