samedi 29 décembre 2007

Les yeux

Il y a d'abord les yeux rieurs, ceux qui balaient la grisaille de mes journées. Un regard où tous les bons sentiments du monde semblent avoir élu domicile. Accompagnés d'un sourire, ils me font sentir unique, à ma place. Si en plus le rire se met de la partie, alors là, c'est la fête au village. C'est comme si pendant un instant, je perdais le Nord et ses froids pour me diriger tout droit vers le Sud et ses plages. Même durant une journée sombre, où ils m'en ont fait baver, ça réussit à tout coup. J'oublie, mon coeur retrouve sa bonne humeur et tout redevient normal dans ma classe. Les apprentissages et les éclats de rire s'entremêlent pour créer la pédagogie.

Il y a ensuite les yeux absents, autant ceux qui voient sans regarder et ceux qui sont occupés à autre chose. Ils forment la seule barrière qui peut m'empêcher d'apprendre quelque chose à leur propriétaire. Ils expriment si bien ce refus d'apprendre, que ce soit passager à cause d'une mauvaise soirée ou permanent à cause d'un désanchantement. Quand ils sont trop nombreux, je me sens seul. Seul et inutile. Alors se fait entendre le clairon annonçant aux troupes que la vigileance est de mise, que l'ennemi est à nos portes et qu'il porte un nom: la démotivation. Parfois ça marche, parfois pas. Parfois je me bats et parfois pas. N'est-ce pas là l'essentiel de l'être humain? S'accrocher ou laisser tomber?

Il y a les yeux tristes, ceux par qui le coeur se permet un laisser-aller. Les raisons, souvent passées sous silence, m'interpellent. Alors, j'ouvre la porte de la confidence mais pas grande ouverte. Juste assez pour que si l'élève en a le goût, il puisse y entrer. S'il ne le désire pas, il peut rester sur le balcon et se laisser réchauffer par les lumières de ma maison.

Tous ces yeux qui me regardent, qui attendent de moi un lien vrai, signifiant dans leur vie de pré-ado. Un espoir pour s'accrocher ou se raccrocher. Et mes yeux souvent rieurs, parfois absents et rarement tristes qui essaient de leur dire que vivre, c'est ressentir. Et que vivre, c'est aussi apprendre à chaque pas.

jeudi 27 décembre 2007

La fois que....

En ce temps des Fêtes, la tête en vacances, je n'ai pas tellement le goût d'écrire sur la veuve et l'orphelin, surtout que l'orphelin a occupé beaucoup de place dans mes derniers billets et qu'il risque de me refaire le coup en 2008.

Nan, allons-y plutôt avec quelques écarts de conduite, quelques conneries dont moi seul semble avoir le tour. Des situations cocasses arrivées dans ma classe au fil des années et, si elles ne me mettent pas particulièrement en valeur, permettent aux élèves de se souvenir de moi un peu plus longtemps qu'uniquement par mon enseignement.

La fois de l'agenda (1997)

Chers spectateurs, transportons-nous dans une classe de cinquième année d'une école primaire de Montréal. Vous voyez le gros monsieur en avant de la classe? Oui, oui, celui dont les oreilles sont en train de devenir aussi rouges que le rouge à lèvre de Mme Losique? Eh bien, nous allons bientôt assister à une scène aussi pathétique que tragi-comique.

Il vient de sermonner habilement, avec des mots bien choisis pour qu'ils fassent mal, Grandes Dents. Il faut comprendre que Grandes Dents a une aptitude à rendre à bout tous les enseignants avec lesquels il a cohabité durant 180 jours. Et notre En Saignant n'y échappe pas. Il est à cette époque un jeune En Saignant, tout frais sorti de cette usine à profs socialistes que l'on appelle l'U.Q.A.M. Il n'a pas encore entendu parler de l'expression "less is more" et croit encore devoir faire un effet monstre dans chacune de ses interventions.

Grandes Dents se lève de sa place pour apporter son agenda et ainsi se plier, après plusieurs minutes de négociation, aux demandes de son enseignant aux oreilles écarlates. Il s'approche, tout en étant certain de bousculer quelques Endormis au passage, ce qui leur donnera la chance de lever la tête pour la seule fois de la journée. Arrivé près du bureau de l'En Saignant, il balance son agenda vers le haut et, pour être certain que l'effet sera réussi, la laisse retomber de toutes ses forces sur le bureau. Ooooooohhhhhhhh... Regardez la réaction de l'En Saignant. Remarquez son souffle plus court, son regard assassin et surtout, regardez les oreilles. Est-ce de la honte? De la gêne? Mais non, c'est de la colère.

Et là, tout se déroule vite, trop vite pour le cerveau fâché du professeur. Il saisit l'agenda, regarde Grandes Dents et, pour être bien certain que tout le monde comprendra le geste brillant qu'il s'apprête à poser, lui jette:

-Ouin, ben voilà ce que j'en fais de ton agenda!

Et il lance l'objet, que dis-je, il catapulte l'objet vers la destination qu'il a choisi: le mur arrière de la classe. Ça fera un gros PAF et il est certain que Grandes Dents ne lui referra plus jamais le même coup.

L'objet s'élève dans les airs, un peu moins haut que l'En Saignant avait prévu, tourne vers la droite, tel qu'il ne l'avait pas prévu, perd de l'altitude et frappe de plein fouet le côté de la figure d'Élève Rejetée, qui était penchée sur son bureau, tentant de se faire oublier afin de ne pas se faire rejeter. Or, elle avait raison, elle n'a pas été rejetée. Seulement attrapée.

Grandes Dents rit, Élève Rejetée est surprise, les Endormis essuient la bave qui leur coule sur le côté de la bouche jusqu'à leur bureau et En Saignant n'a jamais été aussi petit dans ses caleçons.

Est-ce la reliure de l'agenda ou encore les pages qui faisaient FLAP, FLAP qui ont joué sur l'aérodynamisme du projectile? On ne le saura jamais car plus jamais ce truc fera partie du sac à truc de l'En Saignant. Et comme Élève Rejetée avait des Parents Muets, il n'y a pas eu d'appels à l'école.

La fois de la copie (1998)

Nous retrouvons En Saignant un an plus tard, beaucoup plus sage qu'avant. Enfin, beaucoup est un grand mot. Cette anecdote mettra en vedette votre humble blogger et Ado Estefan, une élève caractériellement plus développée que la moyenne.

Mme Estefan a fait un mauvais coup. Hélas, dans la mémoire d'En Saignant, c'est flou. C'était un mensonge car il lui donne comme conséquence de copier le verbe mentir aux six temps une seule fois. Pas méchant, hein? La voilà qui s'avance vers le trône du roi, les yeux enflammés de colères. Non, les oreilles d'En Saignant sont de couleur normale.

-Excuse-moi En Saignant, dit-elle de cette voix trop polie pour que ce soit de la politesse. Le verbe que je dois copier, c'est bien le verbe chier?
-Pardon?
-Oui, chier comme dans "va chier"? continua t'elle de sa voix hautaine.
-....

Transportons-nous dans la tête d'En Saignant. Quelles seraient les bonnes interventions dans un cas comme celui-ci? Demander à Ado de retourner à sa place et de l'attendre à la fin des classes? Nan, trop facile. La faire sortir de classe immédiatement et peut-être demander l'aide de la directrice? Nan, trop faible. Écoutons sa brillante réponse.

-Puisque c'est le verbe chier que tu veux conjuguer, tu le conjugueras 10 fois aux six temps!

Elle repart en furie, s'asseoit en position d'Ado sur sa chaise et fulmine. En Saignant recommence à enseigner en attendant d'en saigner quelques autres. Du coin de l'oeil, il voit Ado Estefan qui gratte son nez d'Ado avec son doigt d'Ado. Vous devinez lequel je présume.

-Oh, je crois que je me suis trompé. Ce ne sera pas dix fois la copie, ce sera vingt fois! décide t'il diplomatiquement.

Les larmes envahissent les yeux d'Ado. Pas des larmes d'Ado mais plutôt des larmes d'enfants.

Quelques minutes passent et même les Endormis sentent la tension qui règne dans la classe car leurs rêves habituels ont viré au cauchemar où quelqu'un les oblige à écouter et même à fournir un effort.

Alors qu'En Saignant montre à son groupe l'accord du participe passé avec être, Ado décide de ne pas se laisser abattre si facilement. Elle colle sur son bureau à l'envers un papier avec les mots suivants gribouillés dessus: EN SAIGNANT, VA CHIÉ!

-Excuse-moi, c'est quarante fois le verbe chier que tu auras à copier. Ainsi, tu seras capable de l'accorder...

Elle n'a plus bronché. Croyez-vous qu'Ado a terminé sa copie? Faisons un petit calcul rapide, histoire de bien comprendre la sévérité de la conséquence:

40 fois le verbe X 6 temps X 6 personnes = 1440 fois "je ch.."
Eh oui! Alors qu'on s'était réconciliés, environ un mois plus tard, Ado arrive à mon bureau avec des feuilles brochées de l'épaisseur du livre de l'oeuvre complète de Lynda Lemay.
Il y a quelques mois, je vais au Canadian Tire et qui j'apperçois? Ado à la caisse où je dois aller payer mes achats. On s'est fait un sourire, on a eu un contact très professionnel et elle a pris sa voix la plus polie pour me servir.
Voilà, deux évènements tirées au hasard dans mon sac à conneries. Est-ce que j'en suis fier? Pas du tout! J'espère qu'Élève Rejetée est devenue Amoureuse Aimée. Pour ce qui est de Grandes Dents, il m'a donné une belle leçon de vie sur l'humilité que devrait avoir chaque enseignant quant au futur qu'il entrevoit pour ses élèves.
Et moi? L'expérience et l'assurance qui vient avec font en sorte que je n'ai plus besoin d'écraser pour mieux régner. Et c'est là que tout le plaisir d'enseigner commence...

samedi 22 décembre 2007

Un cadenas sur le coeur

Elle a les cheveux si blancs que si elle ne portait pas de tuque, on la perdrait dans la minuscule cour d'école en plein hiver. Des cheveux comme les poils d'un Golden Retriever. Vous savez, cette race de chien que tout le monde, qu'ils soient "aux chiens" ou pas semblent aimer? Eh bien elle, c'est tout le contraire. Elle semble attirer un "je m'en foutisme" amoureux chaque fois qu'elle entre en contact avec les adultes. Portrait de Visage Pâle.

Mais qu'est-ce qu'elle doit être insupportable. Elle doit manger des bouts d'efface et les recracher par le nez ou encore, les avaler et les recracher par... Non, rien de tout ça. Alors, ça doit être les conflits. Elle doit générer plus de tensions dans un groupe classe que Denise Bombardier dans un groupe de "comiques". Mais non, pas ça non plus. Alors, elle doit être une menteuse finie ou encore une "stool" qui me fait dresser le peu de cheveux qu'il me reste et qui me fait ressembler à cet humoriste français qui imite un prêtre machiavélique et complètement sauté dont j'oublie le nom. Nada...

Elle est simplement ordinaire. Non, plus qu'ordinaire, elle est moyenne. Moyenne dans tout. Moyenne dans ses résultats, des 75% partout, qui se traduiraient en C dans l'ancienne cotation. Pourvue d'une intelligence moyenne, elle n'est ni grande, ni petite. Même son nom, Visage Pâle, est celui d'une bonne dizaine de petites filles qui ont eu la malchance de pénétrer mon univers durant 180 jours. Tellement moyenne qu'elle défie la loi de la moy... enfin, je crois que vous saisissez.

Alors, pourquoi ne pas l'aimer puisqu'elle est le portrait-robot de ma clientèle? Je ne sais pas et c'est là le drame de l'histoire. Si je ne l'aime pas, qu'est-ce que je fais en enseignement?

Lorsqu'elle a une question à me poser et que je la vois de mon troisième oeil, celui qui se cache dans le front de tous les profs du primaire, ma bonne humeur disparaît. Elle a à peine deux pas de faits que déjà, j'ai hâte qu'elle retourne à sa place. Lorsque je lui explique une notions de mathématique, elle comprend très vite ou du moins, elle veut me montrer qu'elle comprend vite. Sûrement qu'elle se dit que si elle me montre qu'elle comprend vite, je vais l'aimer. Car elle doit le sentir. Malgré tous mes efforts pour lui cacher mon dédain (on dirait que c'est tout à fait le contraire de ma vie d'ado!), je suis sûr et certain que certains signes ne mentent pas.

Alors, pourquoi? Si je pouvais répondre à cette question, je ne culpabiliserais plus. Mais le coeur semble avoir un cadenas à numéro sur lui et Visage Pâle n'en possède pas la combinaison.

En septembre, j'avais déjà senti qu'elle m'irriterait. C'est là un de mes regrets les plus féroces dans la bureaucratie d'une école primaire: ne pas pouvoir changer des élèves de classe avec ma collègue de niveau. Je lui aurais bien pris un schizo ou deux maniaco contre Visage Pâle. Elle a un coeur gros comme la Terre et le restant de l'univers.

Il y aurait bien eu une planète de superficie moyenne, avec un climat moyen et un tas d'animaux affectueux, des koalas peut-être, pour cette fille moyenne...

lundi 17 décembre 2007

La Mal-Aimée et le Fils de Pute

Je suis sorti pelleté ce matin, seul cette fois. C'était tôt et Koala, Loutre et Blondinette étaient bien installées à déjeuner et commencer la journée doucement, par respect pour le congé imprévu... Moi, je regardais ce que Dame Nature nous avait laissé par la porte patio derrière Blondinette et je fatiguais. De la même façon que je fatigue quand nous avons des invités et que je vois la vaisselle sale traîner sur le comptoir. Je peux être fatiguant à ce point-là!

Ça m'a pris deux heures grâce à l'aide de mon voisin, que j'appellerai le Souffleur, because son amour de la machine à pelleter. Lorsqu'il fait tempête, je l'imagine commencer à s'exciter dans sa maison, enfilant ses bottes, ses gants et son manteau rouge tellement laid. Il doit tirer une chaise face à la fenêtre et regarder dehors en tapant du pied, se demandant quand enfin il pourrait se débarasser de cette saleté blanche. Ouais, une chaise droite de préférence car ces obsessifs-compulsifs ne doivent pas pouvoir s'échouer sur un fauteuil comme l'auteur de ces lignes en a fait une spécialité au fil des années. La jambe droite sous la jambe gauche afin de bien s'assurer d'avoir une colonie entière de fourmis lorsqu'il se lève. Anyway...

C'est drôle comment la neige semble moins lourde lorsqu'on est en congé. On dirait une journée bonus où rien peut nous déranger. On ne se sent pas obligé de faire quoi que ce soit car de toute façon, on aurait du être au travail alors bof! C'est donc les pieds gelés que je rentre dans la maison, fier de mon travail. Comme les hommes d'il y a cent ans, j'ai bûché durant tout l'hiver et je me tiens sur le pied de la porte, la neige tombant sur le tapis en attendant que Blondinette me saute dans les bras pour me raconter les évènements des dernières saisons, les yeux embrumés de me revoir enfin. Plus tard, elle lèvera sa jaquette et...

"Tu essuieras la neige avant qu'elle fasse de l'eau chéri..."

Bon, pour les fantasmes, on repassera.

Les enfants sont maintenant couchés, Blondinette a bravé la neige et est partie au Quartier dix-trente afin d'acheter un certificat-cadeau pour ma soeur et mon beau-frère comme cadeau de Nowelle. Dans un restaurant très chic avec une belle table, de belles chaises et de beaux coussins pour y apposer leurs culs précieux...

Je suis seul et comme je suis enfermé dans ma maison, je m'enferme dans mes pensées. Je pense à tous ces élèves qui sont passés dans ma classe et qui sont devenus soit ce qu'ils ont voulu, s'ils ont eu de la chance ou encore ce qu'ils ont pu.

Tout d'abord, il y a La Mal-Aimée. Elle a été dans ma classe de sixième année un an mais en réalité, elle habitait un autre pays. Un pays dont je suis à la fois le président et le fou du roi, la Graisse. Elle s'y était sûrement enrobée pour disparaître un peu ou encore pour que ça lui serve de muraille face aux menaces extérieures pour son petit coeur.

Je l'avais fait rire quelques fois durant l'année et j'en étais fier. Rien de plus beau qu'un rire contenu trop longtemps sous une montagne de malheur. Le son est différent, on le sent libérateur comme le premier orgasme.

Je ne l'ai revu qu'une seule fois depuis ce temps mais quelle rencontre. Elle était en secondaire 2 et je la vois s'approcher de moi, poussant une poussette avec un poussin suçant son pouce à l'intérieur.

-Tu as eu un frère? lui dis-je.
-Non, c'est mon garçon! qu'elle me répond.
-...
-Toi, tu enseignes toujours ici?
-...
-Tu es toujours avec Blondinette? qu'elle me demande.
-...
-C'est pour quand les enfants pour vous deux?

Quoi? C'est pour quand les enfants? J'étais habitué à cette question posée par la mère de l'un et de l'autre, par une tante que l'on a pas vu depuis Nowelle passé et qui croit que c'est la question la plus brillante qu'elle peut poser sans réaliser que c'est plutôt une question braillante. Mais venant d'une élève qui avait de la difficulté à avoir 55 en maths ET en français?

Maintenant, quelques années plus tard, à l'approche du Temps des Fêtes, je me demande ce qu'elle est devenue. J'aimerais croire qu'elle a rencontré un bon mec, qu'elle a trouvé dans l'amour de son enfant de quoi colmater les brèches dans son âme... Joyeux Noël où que tu sois, la Mal-Aimée...

Je pense aussi à mon Fils de Pute. Normalement, c'est une insulte gratuite et efficace mais pas dans ce cas-ci. C'est lui qui me l'avait annoncé d'une voix terne et trop "normale" pour les circonstances.

-En saignant, tu sais ce que je vais faire en fin de semaine?
-Non, Fils de Pute, dis-moi... (ça fait drôle comme phrase mais bon!)
-Je vais jouer à l'ordinateur jusqu'à deux heures du matin.
-Tu ne trouves pas ça tard?
-Bof, ma mère, elle va faire comme d'habitude. Elle va revenir de la brasserie saoûle bien raide avec un gars que j'ai jamais vu de ma vie. Ils vont aller dans sa chambre, ils vont fourrer toute la nuit, il va lui laisser de l'argent et il va partir. Ça fait que de toute façon, je ne pourrai pas dormir.

Ouch! Qu'est-ce qu'on dit dans ce temps là? J'ai sorti mon hochement de tête le plus compréhensif de mon arsenal et lui ai offert. Il s'en crissait. Il est retourné s'asseoir pour terminer le no.2 de la page 119 du FLG 5.

C'est le seul élève que j'ai fait doubler dans ma carrière, et vu la conjoncture de la réforme, sûrement qu'il gardera ce titre. Je l'avais gardé parce qu'à part avoir des 45 partout (la note minimale qu'on pouvait donner!), il semblait heureux dans ma classe.

Je l'ai revu plusieurs fois, trop souvent au fil des années. La première fois, il avait seulement les yeux vitreux. Bah, c'est l'initiation du secondaire, un passage obligé, etc. La deuxième fois, il avait encore les yeux vitreux mais avec en prime une cigarette accrochée à l'oreille qu'il se fit un plaisir d'allumer devant moi, sur le parvis de l'église, oups, excusez, sur le balcon de l'école.

Plus je le voyais, plus ça empirait. Il semblait vouloir m'étaler tous les effets que les différentes drogues peuvent faire sur le cerveau humain. Comme il n'était pas tellement intelligent pour commencer, ça ne changeait pas grand chose mais ça le rendait plus confu. Il devait s'être dit, écoeuré de la situation:

-Ouais, Fils de Pute, je suis tanné de ce nom là. Je crois que je vais dorénavant m'appeller Ostie de Drogué. Au moins, c'est un nom que j'aurai choisi.

Qu'est-ce qu'il advient de toi maintenant, mon Fils de Pute? Toujours à la recherche de je ne sais quoi? Un peu de bonheur dans tes journées, comme en 5e année B? Joyeux Noël!

Je trouve que dans ces deux histoires, je retrouve un de mes dilemmes enseignants préférés. Dois-je continuer à correspondre avec mes anciens élèves, les voir apparaître dans la cour d'école à tout bout de champ, attendant que je leur pose des questions sur ce qu'ils deviennent ou les laisser aller en leur répondant juste assez sèchement pour qu'ils comprennent qu'ils ont des expériences à aller vivre loin de moi?

Je crois que la réalité est un peu entre les deux. J'aimerais les voir une fois par année, passer la porte de ma classe et en resortir aussitôt. La journée de classe la plus courte de l'histoire enseignante. Comme moyen d'évaluation, une seule question, celle que j'ai posé le plus souvent dans ma carrière:

-Ça va ce matin?
-...
-Qu'est-ce qui se passe?

L'élève me raconte ce qu'il vit et j'ai pour lui soit une réponse ou mon célèbre regard empathique accompagné de mon hochement de tête compatissant et de mon sourire complice.

-Tu te sens mieux?
-Oui.
-Allez, à l'année prochaine!

dimanche 16 décembre 2007

Dimanche en tempête

C'est parti! C'est blanc partout. Au moment où j'écris ces lignes, elle tombe de travers. Un peu plus tard, elle tombera peut-être de l'autre côté. On dirait que le vent perd le nord dans une journée comme celle-ci.

Mes deux puces sont assises près de moi. Elles écoutent à la télévision un dessin animé sur un jeune enfant ayant comme responsabilité d'aider le Père Noël à bien faire son travail. Je ne connais pas son rôle exact mais ça m'a tout l'air d'être du cheap labor.

Nous sortirons un peu plus tard, une fois que papa sera bien réveillé, ce qui peut être long parfois. Mon petit koala prendra sa petite pelle rouge et ma moins petite loutre prendra la jaune. Elles viendront brasser la neige avec moi. Si je suis chanceux, elles joueront là où je ne suis pas encore passé. Sinon, elles sortiront leurs gros muscles pour foutre le bordel dans un espace déjà pelleté. Et je recommencerai ensuite.

Blondinette sera avec nous. Et là, ça me frappe de plein fouet. Ça sera tellement plus simple de les laisser devant la télévision. Je suis certain que je sauverais une bonne demi-heure et que je pourrais rentrer au chaud plus rapidement. En plus, Blondinette pourrait préparer son potage aux légumes qui sait réchauffer le coeur, même dans les moments les plus froids. Ouais, pourquoi ne pas les laisser dans la maison?

Parce qu'elles manqueraient de beaux moments et moi aussi. Je manquerais ma loutre qui descend la banquise, bédaine première, pour plonger dans un faux lac qu'est l'entrée du garage. Je manquerais mon koala tellement fragile sur ses pattes de deux ans que j'ai parfois peur qu'un flocon un peu trop pesant la fasse chavirer. Un koala fragile mais souriant devant son papa qui lui fait de grosses grimaces entre deux pelletées ou qui se met à danser en faisant le fou pour montrer à la tempête qu'elle ne me fait pas peur.

Et vous savez pour quelle raison je ne penserais jamais à laisser mes souris à l'intérieur? Parce que quand on va rentrer, après une heure de travail, ma loutre de 4 ans va me regarder avec son sourire des grands moments et va me dire, l'air le plus sérieux du monde: "On a fait du GROS travail, hein?" Oui ma grande, du très gros travail. Tu es vraiment une championne...

Je pense à mes grands. Ont-ils la chance de faire un GROS travail aujourd'hui? De se sentir fiers d'eux pour une raison autre qu'un high score dans un jeu vidéo? Et mes garçons, voient-ils leurs papas s'habiller chaudement pour aller pelleter en sifflant pour leur apprendre que le travail n'est pas que souffrance? Qu'il peut aussi être une occasion de rapprochement, de clins d'oeil et de loutres qui glissent de la banquise au lac?

Il est là notre plus grand défi. Donner un sens aux efforts de nos élèves. Leur montrer comment travailler. Surtout, leur permettre d'être fier d'avoir réussi chaque jour un GROS travail... ils le redonneront à la société un jour.

vendredi 14 décembre 2007

Préliminaires météorologiques

Parfois, on dirait que les élèves ont un baromètre dans le c...

Prenez un groupe de sixième. Des pré-adolescents en pleine découverte de soi et des limites des autres. Durant le dernier mois et demi, pas aucune chicane qui éclate. L'harmonie la plus totale, je me sens presque comme Guy Corneau secouant la tête devant ses invités qui pleurent la fois où ils ont "reçu" un manque d'amour (d'ailleurs, il faudra me l'expliquer un jour ce besoin d'étaler ses problèmes au petit écran plutôt que dans un blog, de façon anonyme!). Le calme plat ou encore, s'ils ne m'écoutent pas, le calme plate.

Le changement de mood se fait discrètement. On ne s'en apperçoit pas tout de suite. Un regard menaçant pendant qu'on apprend aux élèves que le relief principal du Québec est le bouclier canadien, un papier glissé à un voisin, à une voisine, à un voisin et enfin à sa cible pendant que je leur montre comment calculer la moyenne arithmétique. On se dirait de retour au Moyen Âge avec les messagers... Puis, en sortant pour la récréation, deux élèves au pas pressé comme des mémés appercevant le dernier exemplaire du DVD de Céline à Lass Végassss dans un Pharmaprix de Beloeil. Le reste du troupeau? Ils suivent, se dépêchent au cas où ils rateraient le premier coup de poing qui pourrait, s'ils sont malchanceux, mettre fin au combat avant même que les arbitres interviennent. En effet, quoi de mieux qu'un prof pas très athlétique tentant de déméler deux élèves dans la neige jusqu'aux genoux???

Et voilà! Je vous épargne les détails. Résumons celà ainsi: une lèvre fendue, des "c'est pas moi, c'est lui qui a commencé il y a six ans lorsqu'il avait ri de la façon dont je traçais mon A en disant que ça ressemblait à un estomac de chèvre..."

Le problème, c'est qu'un groupe de classe, ça s'infecte. Si on ne règle pas le problème on the spot, c'est comme un bobo laissé sans soin. Le pus s'en mêle et nous voilà pris avec une épidémie avec les amis de l'un contre les grands frères et leurs gangs de l'autre.

Donc, au lieu d'enseigner, j'ai passé l'après-midi à faire le ménage dans les coins sombres de mes deux bums, entouré d'élèves qui s'en mêlent, qui ne s'en mêlent pas et qui s'en crissent à coups de regards en l'air, écoeurés de perdre leur temps.

Alors, une tempête dimanche? Tant mieux. Ça leur fera une bonne excuse jusqu'à mardi, où on excusera leur comportement avec Noël qui approche... Bonne pelle!

C'est arrivé dans une école près de chez vous no.2

Une enseignante de 32 ans qui "ramasse" son groupe d'élève, prétextant que la qualité des cadeaux qui lui ont été offerts pour Nowelle n'équivaut pas à l'énergie qu'elle dépense à chaque jour...

jeudi 13 décembre 2007

Pourquoi le monde en saignant?

Et voilà! Après quelques mois d'hésitations, plusieurs années de gestation, je me décide enfin à livrer mes étâts d'âme sur le net. Pourquoi qui? Pourquoi? Ça, je l'ignore. Peut-être tout d'abord pour moi, pour comprendre dans quel monde je vis. Peut-être aussi pour un ou deux lecteurs qui seront assez courageux pour passer par-dessus cette entrée en matière ma foi assez laborieuse pour un sujet qui l'est tout autant.

Voilà maintenant 12 ans que j'enseigne auprès d'une clientèle défavorisée de la Métropole. Qu'est-ce qu'on entend par défavorisée? Disons simplement ceux que la vie n'a pas particulièrement gâtée côté parents et milieu de vie. Et oui, la pomme qui tombe près de l'arbre. Toujours la même histoire.

Je vous vois vous questionner sur la nécessité de voir apparaître un autre blogue de prof. Encore des plaintes, des gémissements... "Pauvre de moi, qu'ai-je fait pour choisir un métier aussi difficile? Pourquoi ne suis-je pas plus reconnu? Pourquoi les cadeaux qu'on m'offre à Noël sont-ils toujours achetés dans les magasins à 1$?" Ah, comme je connais ces phrases! C'est de celà que je discuterai avec vous dans ces pages.

D'un côté, le respect et l'amour que j'éprouve pour ce métier, encore un des plus beaux du monde malgré tout ce que certains vous disent. De l'autre côté, les imbécilités entendues dans les écoles qui me font craindre pour notre jeunesse d'aujourd'hui.

Donc, maintenant que les intentions sont claires et que cette introduction maudite est faite, je quitte pour écouter la deuxième période du match de hockey car voyez-vous, même si j'ai enseigné toute la journée, j'ai encore l'énergie pour le regarder...

C'est arrivé dans une école près de chez vous no.1

Une enseignante de 60 ans, prof d'anglais, criant à un groupe d'élève, l'écume au bord des lèvres: "Si j'avais un fusil, je vous enlignerais tous sur le bord du mur et je vous tirerais..."