Je vous ai déjà parlé de mon père, cet inconnu. C’est un billet que les personnes choisies me parlent très souvent.
Ce dont je ne vous avais pas parlé à l’époque, c’est de ma paire de pères substituts, ceux qui ont suivi et qui ont été aussi importants dans ma vie que le premier. En ce jour férié, j’ai juste envie de leur rendre hommage, même si je suis certain que jamais ils ne liront ce billet.
Tout d’abord, il y a eu Jocelyn. C’était le père d’une amie d’enfance dont j’étais tombé amoureux durant mon adolescence. Au début, j’allais dans sa maison pour la voir elle, malgré la méchanceté qui l’habitait parfois. Je n’avais pas les griffes que j’ai aujourd’hui et elle le sentait, comme tout bon prédateur. J’étais pour elle la victime parfaite pour passer sa rage, pour sortir son agressivité, pour envoyer chier la planète. J’ai su plus tard, beaucoup trop tard, le pourquoi de toute cette rage mais là n’est pas le sujet.
Donc, Jocelyn est la raison pour laquelle j’ai passé plusieurs années dans cette maison, venant même à la préférer à la mienne. Dans cette maison, ça parlait, ça chantait, ça dansait et surtout, ça « calinait » comme c’est pas possible. Pour tout et pour rien. De gros calins bien sentis pour faire sortir le méchant, comme une bouteille de ketchup qu’on sert pour recueillir les dernières gouttes. Inutile de dire que mon amie avait le droit aux plus gros calins. Moi qui ne savait même pas ce qu’était l’affection, j’ai fait le plein durant des années. Je faisais partie de la famille et Jocelyn me considérait comme son fils, même s’il ne me l’a jamais dit. Et j’étais fier d’être ce fils. Notre habitude? Regarder le football. Il me racontait des histoires sur Terry Bradshaw, Franco Harris, Mel Blount et tous les autres grand joueurs des Steelers, son équipe favorite. On comparait les styles de Barry Sanders et de Gale Sayers, se demandant qui était le plus explosif. Pendant que mes amis écoutaient le SuperBowl ensemble, entourées d’une cinquantaine de bouteilles de bière vides, moi, j’étais avec Jocelyn, entouré d’une centaine de calins.
Puis, j’ai quitté ma ville natale pour aller étudier à Montréal. Nos contacts se sont raréfiés. On se voyait parfois, le temps d’une ronde de golf pas sérieuse pour deux sous. Et à chaque fois, ce regard porté sur moi, un regard plein d’affection. Lui ne pouvait pas savoir que cette affection allait me faire fuir éventuellement. Trop de pression, trop d’attentes pour mon petit cœur écorché.
La dernière fois qu’on aurait pu se voir, c’était au salon mortuaire, lors de la mort de mon géniteur. Il n’est pas venu. Sa femme, oui. Sa fille, oui. Et j’ai eu droit à des calins bien sentis, les premiers depuis des lustres. Mais lui n’était pas là. Sûrement dans sa caverne, avec son costume d’ours blessé. Je ne lui en veux pas. Je ne lui en voudrai jamais. Après tout, c’est moi qui ait quitté.
Le deuxième, arrivé au moment-même où je quittais le premier s’appelait Guy. Il était l’enseignant d’éducation physique de l’école où j’ai eu ma permanence. Un homme dur de la vieille école, aux idées arrêtées et aux valeurs n’ayant pas bougé d’un iota depuis son enfance. Je ne l’ai jamais vu douter de ses positions sur un sujet, jamais. Même quand il avait tort, même quand il le savait. Trop orgueilleux.
Mais derrière cette carapace, un cœur d’or et une tonne d’affection pour moi. Je ne sais pas comment c’était venu. Une bonne trentaine d’années nous séparaient mais nous nous entendions à merveille. Il m’apprenait tant de choses sur la vie et j’étais disponible à les apprendre. Je n’avais jamais eu de professeur naturel alors, c’était une nouveauté extraordinaire pour moi. Il me parlait du bonheur, des femmes, de ses fils, de politique, de hockey, de sa vie, de ma vie, des décisions qu’il avait prises, de celles qu’il regrettait et surtout, de celles qu’il assumait malgré tout.
Puis, le cancer s’est emparé de lui. Je l’ai suivi pendant un bon moment dans son calvaire. J’allais lui rendre visite chez lui puis à l’hôpital. Jusqu’à temps que la morphine embarque et que je débarque. Fuir avant de souffrir. Décevoir de façon volontaire. Rejeter avant d’être rejeté.
En ce jour de Fête des Pères, ne doutez pas de votre importance. Et je m’adresse à tous les hommes, pas seulement ceux qui traînent un enfant dans leur sillage. Vous êtes peut-être le père d’un élève, du fils de votre meilleur ami, du voisin qui commence sa vie d’adulte, de quelques ados du voisinage. Être père, c’est beaucoup plus une histoire de temps accordé et d’oreilles grandes ouvertes que celle d’un spermatozoïde se frayant un chemin jusqu’à une ovule.
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5 commentaires:
Tu sais, il y a plusieurs manières de se saborder.
La mienne était de choisir exactement la personne qui ne m'allait pas. La fin était inscrite dans le début. Bobo jamais guéri obligeait. Je pense bien que c'est ces derniers mois que ça s'est enfin terminé.
Et, père ou mêre, tu sais déjà, c'est la même chose pour moi, à peu de choses près car les rôles, les stéréotypes et tout ça, je ne les vis pas, mais les combats tous les jours.
C'est vrai que la mère nous a porté/e, que le père a fourni des spermatozoïdes dans sa jouissance, mais pour le reste, ce sont des personnes qui sont ou pas des parents, dans les termes que tu décris.
Moi aussi je crois profondément que nous jouons tous et toutes un rôle important face aux enfants, ados, jeunes adultes qui nous entourent. Négatif, positif ou quelque part entre les deux.
Bises et câlins à volonté. Même si je sais bien qu'avec ton zoo, tu en as déjà à profusion, la tendresse, c'est jamais trop, non?
Zed ¦)
Juste comme ça, un lien, ça s'envoie. Toi aussi tu as été important pour Jocelyn et tu pourrais lui, vous faire un bien immense.
Ou encore, un texte, ça se réécrit et ça se poste...
Je suis très, très fière du chemin que tu as parcouru, tu sais... Ce n'est pas condescendant, c'est plutôt que tu donnes de l'espoir à bien d'autres.
Zed xx
Bel hommage à mon père. Que de souvenirs. Je m'assure qu'il lise ce texte.
Et, surtout, sache qu'il serait plus que content d'avoir de tes nouvelles. Tout comme pour moi, il n'y a pas d'AVANT et d'APRÈS; seulement une absence aux motifs encore inconnus.
xxx
Certains hommages sont si faciles à écrire. Vous avez été importants dans ma vie. Vous êtes venus boucher un énorme trou dont je ne connaissais même pas l'existence avant de vous rencontrer: l'affection.
Pour ce qui est de l'absence, c'est un vieux programme de mon disque dur, tout simplement. Pour ne pas décevoir et surtout, ne pas me sentir coupable d'un paquet de trucs, comme de ne plus donner de nouvelles et d'avoir à affronter cela dans le regard des gens que j'aime, tout simplement.
Mais la vie est un tout petit quartier et nos chemins se croiseront sûrement à une intersection quelconque dont nous ne connaissons pas encore l'existence.
xxx
Aucune culpabilité nécessaire. Ne pas donner de nouvelles aussi souvent qu'on voudrait fait (malheureusement) partie des réalités de nos vies trépidantes.
Au plaisir d'arriver à cette intersection.
Bonne rentrée!
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