Blondinette me regardait, l'air découragé. Ça faisait maintenant deux jours que ma bouche semblait faire la grève des mots. Le moral n'y était tout simplement pas, emprisonné dans la mitaine de Martin Biron.
-Tu devrais vraiment faire quelquechose, En Saignant! Même la Loutre m'a demandé ce que tu avais et je ne peux lui dire que c'est de la faute du Canadien!
-Bah, elle a le droit de savoir, tu sais? De toute façon, ce n'est pas de ma faute, c'est de la faute à Bégin... lui dis-je d'un air triste.
Certes, j'avais honte mais les performances de la Sainte-Flannelle déchiraient mon coeur en parcelles.
-Je crois que je sais ce qui te remonterait le moral! m'annonça fièrement Blondinette, d'une voix qui trahissait son soulagement. Tu sais, ta vie a beaucoup changé depuis l'arrivée des enfants. Pourquoi n'invites-tu pas des amis pour venir écouter le match avec toi?
-Ouais, le problème, c'est que je n'ai plus beaucoup d'amis "de gars". Ils semblent avoir disparu au même rythme que mes cheveux.
-Mais tu as tes amis blogueurs, non? me demanda t'elle. Ça existe, des amis, dans ton monde virtuel?
-C'est seulement que je ne suis pas certain qu'ils soient très amateurs de hockey. PM en parle quelquefois mais en ce qui concerne PMT, je suis loin d'être sûr que ça rentre dans sa définition d'une belle soirée.
-Essaie, tu verras... me dit-elle.
Quarante-six e-mails plus tard, nous étions samedi. J'étais assez excité à l'idée de regarder le Canadien se débattre pour une dernière fois en compagnie masculine. J'avais tout préparé: la bière, les chips, trois chandails bleu-blanc-rouge et mon plus bel enthousiasme.
-Étais-tu aussi excitée le soir de notre premier rendez-vous? me demanda Blondinette, appuyant sa réplique d'un clin d'oeil.
-C'est certain mon amour, même si je savais que mon charme fou ferait danser ton coeur...
La sonnette retentit, au même moment où elle sortait par la porte arrière en compagnie de ma descendance. J'ai envie de courir mais je marche jusqu'à la porte, me donnant un air calme et décontracté. L'image à tout prix.
J'ouvre la porte et ne trouve personne. Alors que j'étais sur le point de la refermer, un vent me fouette le visage et je vois apparaître dans le hall d'entrée un homme âgé dans la trentaine, une cape rouge et jaune sur le dos, portant une paire de "legging" et un chandail ajusté sur lequel est inscrit "PM". Son masque, mal ajusté, tremble à chacun des mots qui suivent.
-Salut, En Saignant. Je m'excuse pour le retard mais le vent était du Nord aujourd'hui! me dit-il, en ôtant un de ses gants pour me serrer la main.
-Tu n'es pas en retard, ne t'en fais pas. Mais... tu es vraiment un Professeur Masqué? lui demandai-je.
-Oui, que croyais-tu? Mais toi, tu ne me sembles pas très "saignant". Je m'avoue un peu déçu! me dit-il, secouant sa cape pour en faire tomber les insectes qui s'y étaient écrasés et qui se retrouvaient maintenant sur mon plancher.
J'allais l'inviter à s'asseoir quand un faible "Toc, toc, toc" se fit entendre, suivi d'un gigantesque "Boum". Je courut vers la porte, suivi de PM, qui s'avançait en regardant à gauche et à droite, semblant craindre l'arrivée d'un méchant quelconque. J'ouvris la porte et reçu Prof Malgré Tout qui avait perdu l'équilibre dans mes bras, ainsi que quelques gouttes de sa bouteille de cognac à moitié vide sur les pantalons. Je le dirigeai vers le salon et l'assit sur le divan de cuir noir à deux places.
-Ça va? lui demandais-je.
-Oui... BORDEL, c'est sûr que ça va... me dit-il d'une voix hésitante où les mots semblaient se perdre à travers son haleine alcoolisée. BORDEL, à quelle heure elle commence, cette BORDEL de partie?
-Bientôt... lui répondis-je. Hey, je voudrais te présenter Prof Masqué!
Lorsque je me retournai, je ne vis personne. Il n'y avait plus aucun signe de mon super-héros du blogue. Je me grattai la tête en fronçant les sourcils, les yeux tournant à gauche et à droite.
-BORDEL, où est-il? me demanda PMT. Disparaître fait-il partie de ses super-pouvoirs?
Je quittai le salon et parcourut la maison, à la recherche de PM, inquiet. Aucun bruit ne me donnait le moindre signe sur son emplacement. Arrivé près de la chambre, j'entendis un bruissement de pages très rapide. J'ouvris la porte et le retrouvai assis sur la chaise en osier, une pile de livres à ses côtés, tournant des pages à un rythme effarant.
-Oh, désolé, j'ai senti qu'il y avait des connaissances par ici et en entrant, j'ai trouvé une bonne vingtaine d'ouvrages que je n'avais pas encore lu. La biographie de Ron Jeremy m'a particulièrement intéressé. J'en ai profité...
-Allez, lâche les livres et viens dans le salon, la partie va commencer bientôt! lui lançai-je, en tournant les talons.
-Encore ces trois ouvrages et je suis avec vous, me dit-il d'une voix excitée.
Je tournai le pas et me dirigeai vers le salon, traversant le corridor en me demandant dans quoi je m'étais embarqué.
-BORDEL! BORDEL! BORDEL!, entendis-je d'une voix venant du salon.
Je me précipitai en criant, l'espoir remplissant mon coeur.
-Est-ce qu'ils ont marqué? Est-ce que Brière a marqué? Est-ce Kovalev?
-BORDEL, calme-toi, la partie n'est même pas encore commencée. C'est seulement la BORDEL de chanteuse. Elle a raté une note durant l'hymne national. C'est impardonnable... me dit-il, la colère dans les yeux et la bouteille de cognac à la main. C'est certain, j'écrirai un PUTAIN de billet là-dessus.
Je soupirai et m'apperçut que PM ne me suivait pas. Je retournai donc vers la chambre en soupirant encore plus fort, commençant à regretter une première période avec la Loutre et le Koala assises sur mes genoux. Je retrouvai PM assis devant mon ordinateur, sa page de "Blogger" ouverte devant lui, la cape au vent.
-Oh, tu termines un billet? lui demandai-je, d'une voix intriguée en regardant par-dessus son épaule, tout heureux d'avoir accès à son mode de création.
-Non, en fait, j'ai eu le temps d'en écrire trois depuis que j'ai ouvert l'ordi, m'annonça t'il, d'une voix remplie de fierté. Si ce n'était pas des bruits de l'ivrogne, j'aurais pu en faire encore plus!
Je commençais à comprendre l'étendue de ses super-pouvoirs. Non seulement pouvait-il voler, mais en plus, il pouvait écrire et lire à une vitesse dépassant tout ce que j'avais vu jusqu'à maintenant. Le seul bruit qui émanait de la chambre était celui ressemblant à une centaine de doigts appuyant sur le clavier en même temps. Comme un long son continu.
Je tournai les talons, me souvenant soudainement que les Habs jouaient leur vie ce soir-là et me dirigeai vers le salon.
-BORDEL! BORDEL! BORDEL! entendis-je encore une fois.
-Quoi? Price a encore donné un mauvais but? demandai-je d'une voix forte et essouflée.
Lorsque j'arrivai dans le salon, PMT était couché sur le dos, la bouteille de cognac à la verticale, tentant d'y recueillir une dernière goutte qui coulait lentement le long du goulot. Il tourna sa tête vers moi.
-Tu as du cognac en quelque part? me demanda t'il.
-Non, désolé. Pas très amateur mais je peux t'offrir du vin rouge si tu veux.
Son visage passa de l'espoir à la fureur. Là, j'étais vraiment inquiet.
-BORDEL, jamais! Tu oses m'offrir du vin rouge? Moi qui croyais qu'on venait regarder le hockey ce soir... me dit-il, des tonnes de reproches dans les yeux.
-Oui, mais habituellement, lorsqu'on pense à des gars qui regardent le hockey, on imagine plus des bouteilles de bière vides sur la table basse du salon, lui répondis-je.
-De la bière? Pour un artiste comme moi? BORDEL! Tu ne me respecteras vraiment jamais? Tu ne comprends pas qu'une bouteille de bière sur un clavier, c'est beaucoup moins chic qu'un Jack Daniels? BORDEL!
-Écoute, je suis vraiment désolé... Je me sens un peu mal, là... Tu veux un peu de lait? lui offris-je, découvrant mon sein.
-Nan, laisse faire! m'annonça t'il, reprenant son étui à guitare de la main droite et son manteau de jeans de la main gauche. Je m'en vais... Je dois aller composer des tounes, BORDEL!
Il se dirigea vers la porte, se cognant aux murs en chemin. Je le suivis d'un pas pressé, la déception dans la voix.
-Mais la partie? lui demandais-je, d'une voix implorante.
-PFFFFFTTTTT! me dit-il, en signe de remerciement.
C'est à ce moment que je compris que ce n'était pas PMT qui était venu ce soir mais plutôt CMT, Chiant Malgré Tout, son alter ego qui vivait sur mon blogue. J'aurais dû m'en douter.
Au moment où je le regardais s'éloigner d'un pas titubant, je sentis comme un coup de vent défaire mon "brushing". Je fus surpris de voir apparaître PM devant moi, sur le balcon, les yeux balayant la rue, le regard perdu dans l'univers des lettres.
-Écoute, me dit-il, ne le prend pas mal mais je crois que je vais quitter. J'ai lu toute ta bibliothèque et écrit une série de six blogues sur la littérature du monde enseignant. Je crois que je vais retourner chez nous pour répondre aux commentaires.
-OK, vas-y..., lui répondis-je en tentant de ne pas laisser le regret teinter ma voix.
Je rentrai et m'écrasai dans mon salon, juste à temps pour entendre la sirène annonçant la fin de la première période. Mais le résultat du match m'importait peu à présent. Le sort du Canadien, pourtant si important pour moi quelques heures auparavant, avait laissé place à une grisaillerie.
Lorsque Blondinette revint vers les 23h00, Koala endormie dans ses bras, j'étais encore assis les yeux ouverts, ne pouvant croire ce à quoi j'avais assisté. Au moment où j'allais sortir chercher la Loutre, endormie elle aussi dans l'auto, elle m'arrêta d'une main remplie de tendresse.
-Ça va? demanda de cette petite voix inquiète dont seule elle a le secret. Où sont tes amis?
-Retournés dans leur monde virtuel, lui répondis-je, un sourire en coin...
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12 commentaires:
Faut croire qu'y a du monde qui ont d'la suite dans les idées davantage en arrière du clavier.. J'ai des doutes quand à ce qu'on peut retrouver une fois les limites du bouclier dépassé... Faut croire qu' parfois y'a qu' des bibittes à ramasser ;)
Une chance que je suis une fille et que tu n'as pas eu l'idée de m'inclure dans cette divagation! :o)
Hahaha!
Vraiment, si j'étais dessinatrice, j'en ferais une BD.
Au contraire de gooba (contente de te lire, chère!), j'espère être invitée quand tu feras ta soirée Tuperware!
J'aime pas le cognac... Mon truc c'est le scotch. Mais ç'pas grave, si le Canadien survit, je serais game qu'on se tape une game.
En passant, le Jack Daniel est la pire insulte jamais faite au scotch.
Et j'oubliais : je suis classe, moi. J'amènerais le scotch.
Hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha...!
La police vient me chercher, je crois que j'ai ri trop fort. BORDEL! Tu viendras me voir en prison pendant que j'écrirai, les chats sur mes genoux?
Zed xxx
Un faible pour la description du prof masqué. ;-)
Bien sûr, il s'agit d'une oeuvre de fiction (désopilante! tu aurais entendre mon éclat de rire ce soir alors que j'étais à Sherbrooke, question de me changer les idées) mais un détail est cependant véridique: j'aurais, un jour, un grand plaisir à te serrer la main.
Gardant l'autre pour tourner les pages d'un livre et l'autre encore pour le clavier. Ne te surprends pas, En Saignant, s'il serre la patte au pied de la lampe. C'est qu'il aura été absorbé par quelque paragraphe d'un (ou deux) roman(s) de science friction. Z
Mandoline: J'ai les même doutes que toi mais mieux vaut s'imaginer une histoire comme celle-là. :)
Gooba: Hey! Content de te voir! J'appelle tout de suite Gaston L'Heureux pour lui dire de laisser faire l'avis de recherche.
Ton tour viendra, c'est promis! :)
Hortensia: Merci. C'est promis pour toi aussi! Mais ce sera à vous de me trouver l'endroit où le billet se déroulera.
PMT: Tu sauras qu'un enseignant a toujours de la classe. Pour ce qui est du scotch, j'ai maintes et maintes fois abusé de l'alcool mais je ne l'avais jamais insulté jusqu'à maintenant. :)
Zed: Content de te revoir! Je ne suis pas certain s'ils acceptent les animaux en prison. Alors, ce sera tant pis pour le chat et tant pis pour moi!
PM: Le plaisir sera partagé. Mais je t'en veux un peu de vendre la mèche en annonçant que c'est un oeuvre de fiction. J'ai vraiment l'impression que Gooba y avait cru! :)
PM: Gooba est de retour! Joie! Délectation! Bonheur!
Pas question que j'aille où que ce soit sans mes chats. ;-)
Pour m'inclure dans une histoire, on peut choisir n'importe quel lieu. Je ne suis pas sexiste du tout. Même les toilettes des gars, si c'est là où il faut aller. Bof, t'sais.
En observatrice, tous les endroits. Même ceux qui ne m'intéressent pas. C'est bien toi l'auteur, non?
Quand l'auteur clique sur la fonction retour, qui sait où vont les mots!
Zed :)
Désopilant :) Je me suis demandé s'il n'y a pas une part de vérité dans l'imaginé... J'adore la description que tu leur as faites !
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