Je suivis donc la directrice, la queue entre les jambes, comme un chien qui s'est fait prendre à fouiller dans les poubelles. Les néons qui éclairaient le corridor s'allumaient et s'éteignaient, au rythme de nos pas. Je me sentais comme lorsque j'étais jeune et que j'avais lancé une balle de neige derrière la tête du gros Mondoux. J'avais eu beau expliquer à la directrice du moment que je visais à côté mais qu'il était tellement gros que je l'avais attrapé, ça n'avait pas passé.
La directrice ouvrit la porte et me laissa entrer en premier. Ce que j'apperçu dans son bureau me scia les jambes.
Je venais de pénétrer dans le musée des gogosses. Partout, sur toutes les étagères, trônaient des vieilleries, toutes plus cheaps les unes que les autres. Il n'y avait pas un espace d'inoccupée sur toutes les surfaces planes de la pièce. En marchant vers la chaise que je peinais à voir, je dû enjamber une bonne quinzaine de trolls, de pouliches et de bouteilles vides de vin d'épicerie. Les murs étaient tapissés de centaines, voir de milliers de dessins d'enfants. Je ne pouvais même plus percevoir la couleur originale du mur, qui devait être jaune moutarde ou vert rhume, comme c'était la mode dans les écoles.
Arrivé à ma chaise, ébloui devant tant de cochonneries, je ne regardai pas où je posais mes fesses.
-Pfffffffffffffffffffffffffffffffftttt! entendis-je.
-Oh, Mr.En Saignant a de la difficulté avec ses intestins, il me semblerait bien! me lança la directrice, un sourire de satisfaction accroché aux lèvres.
-Mais que dites-vous là! dis-je, en me replaçant sur ma chaise. Pfffffffffffffffffffffffttttttttttt!
-Oh, Mr. En Saignant a mangé quelque chose que ses boyaux ne tolèrent pas! me lança maintenant la directrice.
Je soulevai mes fesses une à une, émettant du même coup une série de bruits d'air aigus, qui semblaient créer une symphonie ou plus vraisemblablement, une cacophonie. Je mis la main sous mon popotin et y trouvai un coussin ressemblant à une bouillotte qui faisait des bruits d'un goût douteux. Je la lançai, frustré. La bouillotte se dirigea aussitôt vers une étagère où habitaient une collection de pouliches. La première tomba sur la deuxième, qui tomba sur la troisième et ainsi de suite.
-Désolé! dis-je à la directrice.
-Hmmmm, gémit-elle. Bon, venons-en aux faits. Il semblerait que votre stage soit plutôt une catastrophe en ce moment, non?
J'avais entendu sa question mais je ne pouvais quitter du regard les dominos à crinières qui s'allongeaient un à un sur la tablette du haut.
-Ouais, peut-être qu'un regard extérieur pourrait penser cela mais en regardant de plus près, disons que certains détails semblent dire le contraire, répondis-je.
La dernière pouliche fut touchée et tomba sur la tablette inférieure, celle où une imposante tribue de trolls semblaient attendre en ligne au salon de coiffure. Le premier troll tomba et le manège recommença. Des sueurs apparurent sur mon front.
-Oh, je vois. Et quels seraient ces détails? me demanda t'elle.
Un troll plus solide que les autres sembla pendant un instant stopper l'hémoragie mais non, après quelques pas de danse qui me rappelaient mes soirées bien arrosées, il tomba sur l'autre.
-Bien, disons que je suis en train de créer des liens avec certains élèves, lui dis-je.
-Vous parlez de véritables liens où des trois élèves que vous avez ligotés dans les toilettes durant votre première prise en charge? me demanda t'elle.
-"Ligotés" me semble un mot bien lourd dans les circonstances, vous ne trouvez pas? lui demandai-je.
-...
-Et puis, ma maître-associée, elle m'avait dit de commencer serré et de donner du lousse ensuite, c'est bien ce que j'ai fait, non? m'essayai-je.
Le dernier troll, incapable d'endurer cette débâcle, sauta dans le vide et atterit sur un ballon qui roula vers la porte d'un rythme certain.
-Disons que certaines paroles ne doivent pas être prises au pied de la lettre, Mr. En Saignant! hurla la directrice.
-Ouais, surtout si c'est un O, lui répondis-je, fier de moi.
-Un O?!? demanda la directrice.
-Oui, un O. On ne peut pas prendre au pied de la lettre un O car ça n'a pas de pied, seulement une base courbe, intéressant, non? lui dis-je avec un sourire.
Le ballon heurta de plein fouet la patte d'une table où étaient posés des porcelaines toutes aussi laides les unes que les autres. Le cataclysme fut immédiat.
-Vous êtes vraiment un être pathétique, dit-elle, d'une voix trop calme pour être sympathique, découpant chaque son avec une précision chirurgicale, comme pour être bien sûre de frapper au bon endroit.
Les éclats de porcelaine volèrent dans tous les sens, y compris celui d'un grand vase rempli de ballons gonflés à l'hélium qui volèrent en éclat. On se serait vraiment cru au Vietnam.
-Mais qu'est-ce que tout ça? demandai-je en pointant les vieilleries autour d'elle, tentant de changer le sujet de conversation.
-Ce n'est pas important et je ne suis surtout pas disposée à vous le dire, mon cher tout petit monsieur, me répondit-elle.
-Allez, dites-moi. Je suis ici pour apprendre! lui dis-je, sortant mes yeux de piteux pitou.
-Ce sont tous les souvenirs de ma carrière que les élèves m'ont donné, ce qui ne risque pas de vous arriver, n'ayez crainte, me répondit-elle sur un ton agacé.
-Oh, je vois.
Je regardai autour de moi et des larmes apparurent aux coins de mes yeux.
-Vous avez raison, ça ne risque pas de m'arriver. Vous avez remarqué le petit soldat auquel il manque une jambe, là-bas, dis-je en pointant le G.I. Joe tout sale, sur l'armoire en arrière d'elle.
-Bien sûr, c'est un de mes préférés. Il m'a été offert par un garçon qui n'était vraiment pas doué pour autre chose que faire des conneries. Mais il faut croire que mon travail a porté fruit car aujourd'hui, il est le propriétaire de "Sloppy Burgers"! dit-elle avec fierté.
-Alors, travaillez avec moi et vous verrez, je deviendrai moi aussi un propriétaire. Le propriétaire d'une vie normale, enseignant dans une classe normale. Vous ne le regretterez pas! Je ne ferai peut-être pas de hamburgers sur le grill mais j'aurai mes munchkins à moi.
-...
-Et si vous n'avez pas jeté ces cochon..., je veux dire ces marques d'affections capitalistes, vous n'avez pas droit de me jeter. Je peux y arriver, dis-je, le poing levé vers le ciel.
La directrice me regardait, semblant peser le pour et le contre de mon discours. Mes mots avaient peut-être porté fruit, je ne pouvais savoir. Je me levai donc et me dirigeai vers la porte, tentant d'éviter les éclats de verre autour de moi. Je mis la main sur la poignée, résigné à aller chercher mes effets personnels dans la classe de maternelle.
-En Saignant, vous avez oublié quelque chose! me lança t'elle.
Elle me lança le G.I. Joe et me dit, d'une voix maternelle.
-Une semaine, pas plus. À vous de faire vos preuves...
Je sortis de son bureau le coeur léger, sifflant une chanson enfantine. J'avais donc réussi à m'acheter une autre semaine. J'arrivai devant la classe mais décida de passer tout droit. Je n'avais que trois chiffres en tête: 1, 2 et 4. Peut-être y trouverai-je les réponses à mes nombreuses questions.
Un jour, peut-être pas si lointain, la huitième station: En Saignant console les filles de Jérusalem.
3 commentaires:
ah je compatis! Mon premier directeur (en tant qu'enseignante pas en stage) m'avait dit :"je ne comprend pas ce que tu fais en enseignement, tu ne l'as vraiment pas!"
Bon une chance que je ne l'ai pas écouté! Je ne crois pas être si mauvaise en fin de compte! ;)
J'ai bien hâte de voir comment tu t'en sortiras avec tes minuscules-cul et comprend mieux ton attirance pour les grands! ;)
vivement la suite!
xx
Si l'histoire du soldat de plomb a un tant soit peu un fond de vérité, c'est vraiment une belle anecdote. et sinon... bravo de l'avoir inventée...
Ca devient complètement surréaliste et pourtant des éléments par-ci par-là font croire qu'il y a un bon fond de vérité dedans... J'aime ! :)
Le coup des objets qui s'écroulent les uns après les autres c'est pas mal du tout; au début j'ai cru que tout allait tomber d'un coup mais le fait que ça tombe pendant que vous parler donne encore mieux.
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