jeudi 24 avril 2008

Huguette, Richard et moi

Risin' up, back on the street
Did my time, took my chances
Went the distance, now I'm back on my feet
Just a man and his will to survive

Chaque fois que j'entends ces paroles, je pense à Huguette, notre prof d'anglais lorsque j'étais en cinquième année. Elle nous avait demandé de choisir une chanson qu'elle traduirait avec nous pour nous intéresser à la langue de Shakespeare. Et ça a fonctionné, un bout.

It's the eye of the tiger, it's the cream of the fight
Risin' up to the challenge of our rival
And the last known survivor stalks his prey in the night
And he's watchin' us all in the eye of the tiger

Et tous les garçons de la classe se prenaient pour Rocky. Si seulement on avait pu trouver quelqu'un pour nous faire un oeil au beurre noir, ça aurait idéal. Mais bon.

Huguette a perdu un peu de sa crédibilité le jour où le gros Marchand lui a demandé ce qu'était une "bra". Elle lui a répondu que c'était un soutien-gorge. Il a joué la carte de l'innocence, qui était un naturel pour lui et lui a dit qu'il ne connaissait pas cela. Elle l'a pris en pitié et a déboutonné sa chemise devant tout le groupe pour nous montrer sa "bra". Le coeur naïf d'une grand-mère dans le corps d'une enseignante, pas toujours un mélange harmonieux.

Pourquoi je vous raconte cela? Parce que cette semaine, je commençais un sujet arride pour mes élèves, surtout mes garçons: la poésie. Avec la pudeur des pré-ado pour tout ce qui touche aux sentiments, qu'ils commencent eux-mêmes à ressentir, ça me prenait quelque chose pour les accrocher. Alors, je me suis demandé quel poête pourrait les accrocher et leur donner le goût d'explorer ce monde où les mots deviennent fantaisie. Un seul nom m'est venu en tête: Richard Desjardins, un immortel dans la maison En Saignant.

Je me suis souvenu d'Huguette, de Survivor, de Rocky et d'un groupe de gars motivés et j'ai foncé, tête baissé, dans son univers, en espérant qu'ils me suivraient. Pour ce faire, j'ai branché les hauts-parleurs sur mon portable et ai démarré ITunes qui contient tous les disques que j'ai acheté depuis l'arrivée du CD. Les premiers mots ont résonné dans ma classe.

Ton dos parfait comme un désert
Quand la tempête a passé sur nos corps
Un grain d'beauté où j'm'en vas boire
Moi j'reste là les yeux ouverts
Sur un mystère pendant que toi tu dors
Comme un trésor au fond de la mer

Je leur ai demandé leurs commentaires. Ils ne savaient pas trop quoi dire. Ils ne voulaient pas me décevoir, je crois bien. Mais j'avais leur attention, n'est-ce pas là l'important? Heureusement, j'avais aussi un plan. Je leur ai donc expliqué que Desjardins possédait, selon moi, au moins trois types d'écriture. Et que s'ils n'avait pas compris toutes les images cette fois-ci, ils comprendraient sûrement les deux prochaines. J'amène maladroitement mon index sur le "pad" qui me sert de souris vers la chanson suivante.

J'ai roulé 400 milles
Sous un ciel fâché.
Aux limites de la ville
Mon cœur a clenché.
Les gros flashes apparaissent
Dans mon âme égarée,
Les fantômes se dressent
À chaque pouce carré.

Là, l'intérêt a grandi. J'ai demandé aux élèves le sujet de la chanson, selon eux et ils ont très bien compris que ça parlait du retour d'un homme dans sa ville. Bon, on était bien partis. De nouveau, maladroitement, j'essaie et réussit finalement à sélectionner la chanson suivante.

Y ont d'mandé des ventilateurs
à cause du gaz dans le smelter :
" On veut d'l'eau chaude, on veut aussi
un peu d'soleil avant la nuit.
R'montez la cage avant cinq heures. "

Ils ont embarqué à fond dans l'histoire des "fros" et du prix à payer pour des sans-papiers qui ont des revendications salariales. Et je leur ai annoncé que Richard Desjardins pouvait aussi être comique. Ils ont eu l'air surpris. Avec mon doigt qui tremblait à nouveau, partant dans toutes les directions, j'ai finalement réussi à trouver la chanson que je cherchais.

Bienvenue au Boomtown Café
Tout le monde est arrivé
Le show peut commencer
Ouvre tes yeux, ouvre ton cœur
C'est ben mieux de retourner allège
Dehors y a une grosse tempête de neige

Les claquements de mains accompagnaient le rythme rapide et festif de la chanson. On est revenus sur certaines paroles, certains choix de rimes et on en a discuté ensemble. Prochaine chanson.

J'aurais dû, ben dû, donc dû farmer ma grand'yeule
Chus barré tout partout,
chus cassé comme un clou,
toudoudou, je suis un voyou, voyez-vous

Encore là, claquements de main avec, en plus, quelques éclats de rire bien sentis. Bon, ok, ça paraît bizarre d'entendre les élèves chanter le refrain ensemble mais ils commençaient vraiment à comprendre toutes les possibilités de la poésie.

Je me sens alors excité comme quelqu'un qui montre sa maison à des visiteurs pour la première fois. Faire découvrir Desjardins à un groupe d'élèves qui n'a pas le choix d'écouter? Le rêve de tout passionné de musique. Sans trop réfléchir, je mets une de mes chansons préférées.

Avec ma face de game over
l'cordon du cœur traînait dans 'slotche.

Oh, attendez, les paroles me reviennent. Qu'est-ce que j'ai pensé? Je mets mon index sur le "pad" mais ne suis pas capable d'atteindre le bouton pause.

Ça m'prend un ticket, un ti-ketchose,

Je réussis finalement à immobiliser le curseur de ma souris sur le "pause" mais le bouton gauche de la souris ne répond pas. Nous y voilà!

O.K. pompier! fait que suce ma hose.

Rire généralisé. Sauf moi. Je souris bien devant eux, m'excusant de mon erreur, leur expliquant que je ne me souvenais plus des paroles de la chanson mais bon, le mal était fait. Ils ont voulu entendre la suite et j'ai refusé. Un gros clown...

L'an prochain, ce sera Céline suivie de Wilfred avant de finir par Marie-Élaine!

9 commentaires:

Missmath a dit…

Un collègue a connu le même malaise il y a plusieurs années quand sa fille de 5 ans a chanté cette chanson ("M'as mettre un homme là-dessus") lors d'une fête de famille...

La belle Lurette a dit…

Une connaissance à été convoquée chez la directrice parce que son fils de 7 ans chantait (bien innocemment)du Brassens...Quand je pense à Fernande...!

Cela dit, je dois dire que quand j'avais l'âge de tes p'tits, j'écoutais en boucle "le bon gars", mais que je restais perplexe devant "la chanson d'amour où s'qui traite la fille de "paquebot géant""...Aujourd'hui c'est mon incontournable, bien plus beau que toutes les Céline, Wilfred ou Marie-Élaine...

Hortensia a dit…

Hahaha!
Je vois tout à fait le topo.
Je me souviens d'une fois où j'avais choisi un poème pas mal à la dernière minute (hum, hum...) pour mon cours. Je l'avais lu un peu rapidement, me disant que ça convenait. Une fois en classe, en travaillant le poème avec les étudiants, le double sens nous avait frappés de plein fouet. Ce n'était pas trop grave, puisque tous avaient au moins 18 ans, mais je revois encore ma rangée de gars de l'équipe de football au fond de la classe et le comique de la gang qui s'était écrié "heille! Hortensia! tu rougis!" Ce qui m'avait fait rougir de plus belle, évidemment. Ils ont beaucoup aimé la poésie cette fois-là...

Anonyme a dit…

Y va toujours y avoir,
D'la neige au mois d'janvier,
Y va toujours y avoir,
Un feu d'forêt dans l'temps des beluets,
Toujours y avoir du vent su'l St-Laurent...
Et toujours y avoir un En Saignant quelque part qui fera que les mots deviendront des papillons.
Heureusement.

Monsieur Beaudoin, en première secondaire, a, à lui seul, réussi l'exploit de m'intéresser à la littérature. Avant lui, j'étais phylactère plus que paragraphe. Avec Le Grand Cahier d'Agota Kristof, en prime. Plus tard, en relisant la chose, j'ai bien fini par comprendre que tous ces malaises qu'il avait à la lecture publique de l'oeuvre venaient du fait qu'il censurait pas mal certains passages !

Et pis c'est que la curiosité en soi est un puissant moteur de pigmentation poétique.
Chapeau bas, En Saignant.

Jhon a dit…

Je crois bien que cette leçon va rester grâvée longtemps dans leur mémoire ! :D

unautreprof a dit…

Desjardins est en effet tellement approprié pour parler de poésie.

Bon, il peut y avoir des dérapages mais bon;)

Oups!

L'ensaignant a dit…

Missmath: Ouais, je crains cela aussi. Déjà que c'était très bizarre d'entendre des extraits de "Dégénérations" dans la bouche de ma Loutre de 3 ans à l'époque.

Disons que les Loco et quelques chansons de Desjardins sont interdits à la maison depuis quelque temps.

Belle Lurette: Moi, ado, c'était "et j'ai couché dans mon char", qui me rendait nostalgique, déjà, à coup sûr.

Tout le monde devrait écouter Desjardins, c'est aussi radical et simple que ça! (mais je crois qu'on perdrait quelque chose, non?)

Hortensia: Ne pourrait-on pas écrire des centaines de billets sur ces moments de malaises, y compris les fois où le naturel du vocabulaire ressurgit au plus mauvais moment? :)

Intellex: Ouais, chapeau bien bas... Merci pour les bons mots. En tout cas, une chose est certaine, ils sont marqués pour la vie. Reste seulement à savoir de quelle façon :)

Jhon: Yep! Tu l'as dit...

Unautreprof: Ce qui me sauve, c'est d'être dans la même école que PMT. Il fait autant de dérapages en une journée que je n'en ai fait dans toute ma carrière...

Chris a dit…

Et "Le prix de l'or"? Ça, ça les aurait accroché d'aplomb! En tout cas moi, c'est ma préférée, s'il faut en choisir une. Sinon, je les adore toute mais, je n'ai pas de mérite, je suis originaire de la même ville que lui. C'est connu, en Abitibi, on est fans de tout ce qui sort de là.

Prof Malgré Tout a dit…

Moi, je leur aurais expliqué qu'un vrai poème, d'un vrai poète, ça n'a pas besoin de musique. La poésie est déjà un art sonore. La lire n'est pas suffisant, il faut la dire. C'est comme lire une recette au lieu d'y gouter...

Donc, je n'ai jamais entendu les poèmes de Desjardins et quand Duparc met les Baudelaire en musique, ça m'énerve. Par contre, quand c'est Schubert qui se tape du Goethe en musique, je suis une pute, sa pute. Ça doit être parce que je ne parle pas allemand.

Mais bon... Desjardins est un excellent auteur-compositeur et quand on ne connait pas de poète, ça peut faire la job.


CMT (chiant malgré tout)