samedi 29 décembre 2007

Les yeux

Il y a d'abord les yeux rieurs, ceux qui balaient la grisaille de mes journées. Un regard où tous les bons sentiments du monde semblent avoir élu domicile. Accompagnés d'un sourire, ils me font sentir unique, à ma place. Si en plus le rire se met de la partie, alors là, c'est la fête au village. C'est comme si pendant un instant, je perdais le Nord et ses froids pour me diriger tout droit vers le Sud et ses plages. Même durant une journée sombre, où ils m'en ont fait baver, ça réussit à tout coup. J'oublie, mon coeur retrouve sa bonne humeur et tout redevient normal dans ma classe. Les apprentissages et les éclats de rire s'entremêlent pour créer la pédagogie.

Il y a ensuite les yeux absents, autant ceux qui voient sans regarder et ceux qui sont occupés à autre chose. Ils forment la seule barrière qui peut m'empêcher d'apprendre quelque chose à leur propriétaire. Ils expriment si bien ce refus d'apprendre, que ce soit passager à cause d'une mauvaise soirée ou permanent à cause d'un désanchantement. Quand ils sont trop nombreux, je me sens seul. Seul et inutile. Alors se fait entendre le clairon annonçant aux troupes que la vigileance est de mise, que l'ennemi est à nos portes et qu'il porte un nom: la démotivation. Parfois ça marche, parfois pas. Parfois je me bats et parfois pas. N'est-ce pas là l'essentiel de l'être humain? S'accrocher ou laisser tomber?

Il y a les yeux tristes, ceux par qui le coeur se permet un laisser-aller. Les raisons, souvent passées sous silence, m'interpellent. Alors, j'ouvre la porte de la confidence mais pas grande ouverte. Juste assez pour que si l'élève en a le goût, il puisse y entrer. S'il ne le désire pas, il peut rester sur le balcon et se laisser réchauffer par les lumières de ma maison.

Tous ces yeux qui me regardent, qui attendent de moi un lien vrai, signifiant dans leur vie de pré-ado. Un espoir pour s'accrocher ou se raccrocher. Et mes yeux souvent rieurs, parfois absents et rarement tristes qui essaient de leur dire que vivre, c'est ressentir. Et que vivre, c'est aussi apprendre à chaque pas.

7 commentaires:

La Souimi a dit…

C'est très beau. Oui, c'est vrai, les yeux.... Leurs yeux...

Souvent, un seul petit mot peut faire toute la différence. Comme cette année pendant laquelle je travaillais avec des élèves en mesure d'appui pédagogique. Des élèves de 16-17 ans en 2e secondaire. Un jour, alors que Grand Jack entrait dans la classe ( 6 pieds 2 pouces, 250 livres), je lui ai signifié que la couleur de son chandail illuminait son visage. J'ai vu le grand gars fondre sur place et se tracer, sur son visage, un énorme sourire. À la fin du cours, il est venu me voir et a dit:" Eille, Maamm, s'tu vra qu'chu beau?" Je lui ai dit que oui. Il m'a alors dit:" Ah ben... C'est la première fois qu'on m'dit ça d'ma vie." Grand Jack est devenu mon bras droit pendant toute l'année et à chaque année, il revient me voir. Il a bien 25 ans aujourd'hui. Il revient certainement à cause de ce petit compliment qui a été important pour lui.

Oui, les yeux. Les nôtres parlent aussi. Et les élèves en détectent rapidement le langage.

unautreprof a dit…

En effet, les yeux...
quel beau texte.

L'ensaignant a dit…

Souimi: parfois, même les mots qui semblent les plus anodins pour nous peuvent faire toute la différence. N'est-ce pas aussi pour ça qu'on fait ce métier?

Unautreprof: merci pour le beau commentaire.

Le professeur masqué a dit…

Durant les réunions de parents, je parle aux géniteurs de mes élèves du privilège que j'ai d'enseigner à leur enfant et d'allumer leur regard.

unautreprof a dit…

prof : de voir les étoiles dans les yeux, de les faire briller.
C'est en effet tout un privilège que nous avons.

Marie-Piou a dit…

Excellent billet.

Anonyme a dit…

J'imagine les tiens qui brillent, de tout ton coeur, embrouillés parfois, les jours de pluie.

Aimer, donner, partager. 9Comment éduquer sans cela?)


Zed