dimanche 13 janvier 2008

Le sexe fort

Je dors comme je dors toujours en après-midi: sommeil léger, rêves courts et fréquents, réveils aux dix minutes. Au loin, à travers la brume, un son vient à mes oreilles:

-iiiiiisssssssssss, iiiiiiinnnnnnn.

Je me rendors.

***
Chaque classe possède sa personnalité. Et il n'y en a pas deux pareilles. J'ai eu des classes d'artistes, de p'tits bums et p'tites bumettes et des classes tranquilles. J'ai même eu une classe que j'appelais "la classe des gentils". Rien de mesquin ne semblait leur traverser l'esprit. C'est comme si le soleil régnait en permanence dans mon local. L'an passé, c'était une classe adolescente. Drogue, nudité sur internet, name it. Douze ans et ils avaient plus de vécu que moi, ce qui n'est pourtant pas une mince affaire...
***
Je me rendors peut-être une seconde ou deux, le son se précise:
-ppppppppppiiiiiiiiiiiissssssssssssssssss eeeeeeeeeeeennnnnnnnnnnnn mmmmmmmmmmmaa vvvvvvvvvinnnnnnnnnnnnnnnnnn.
Je remarque que la voix va et vient, au son de petits boum, boum, boum et je me rendors.
***
Cette année, j'ai une classe à l'atmosphère bien spéciale, peut-être la plus bizarre de ma carrière. Mais d'abord, un petit principe que j'ai toujours appliqué face à mes élèves. Chacun a sa place dans ma classe et est libre de participer comme il le désire à en créer la personnalité. Il y a les clowns (qui doivent apprendre quand "clowner"), il y a les défenseurs de la veuve et l'orphelin, les brillants, les élèves moyens (on en a déjà parlé de ceux-là), etc. Ce n'est pas vrai qu'une journée de 300 minutes se divise également entre le nombre d'étudiants mais je m'assure que chacun aura sa part.
***
Encore ce bruit. Je remarque deux paires de pieds qui martelent le plancher. L'une doit appartenir à Loutre et l'autre à Koala. Oui, elles courent ensemble. Cette fois-ci, c'est Koala que j'entends crier:
-Pénis en vagin!
Hein? Je sais qu'elle connaît ces mots mais bon, ça surprend toujours un peu en plein après-midi.
***
Donc, cette année, il y a un groupe de filles dont les parents sont d'origine africaine. Six belles grandes noires avec des rallonges de cheveux de toutes les couleurs. Avec leurs beaux sourires, elles sont comme un arc-en-ciel lorsqu'elles s'asseoient les unes à côté des autres. En plus, elles possèdent des talents dans toutes les sphères: artistiques, scolaires, sociales, etc. Surtout, elles possèdent beaucoup, mais vraiment beaucoup d'aptitudes sportives. Un groupe d'athlètes comme on en voit rarement dans un même niveau.
Elles prennent beaucoup de place dans ma classe. Mes garçons les regardent avec méfiance, pas parce qu'elles sont noires mais parce qu'ils ne peuvent se prouver auprès d'eux d'aucune façon. Pas moyen pour eux de jouer les machos, ils vont se faire bousculer. Pas moyen de jouer la carte de la séduction, elles ne sont pas intéressées. Même pas moyen de les battre au ballon chinois, ils se font défoncer.
***
Je suis maintenant réveillé et j'attends le prochain passage de la fanfare pour être bien sûr de ce que j'ai compris. Les voilà.
-J'ai un pénis dans le vagin! crie la Loutre.
-Pénis en un vahin! répète du mieux qu'elle peut Koala.
***
Qu'est-ce qu'ils font mes gars? Et bien, ils se réfugient entre eux. Et des gars ensemble, devinez ce que ça fait? Des niaiseries. Même moi, vous devriez me voir lors de ma soirée de poker mensuelle. Ce n'est pas compliqué, l'atmosphère de ma classe se résume ainsi: élève xx se lève en classe lorsque je demande un exemple tiré de leur vécu dans le cour de morale, il donne un exemple juste assez grasse pour faire rire ses amis et mes filles le regardent, les yeux au ciel et font suivre celà d'un sourire en se regardant, quand ce n'est pas l'éclat de rire tout simplement.
***
Je me lève et demande des explications à Blondinette, le sourire aux lèvres et les yeux collés.
-Ta fille a découvert son clitoris et elle pense que c'est un pénis, me répond-elle.
-OK, je comprends.
Je comprends??? Je ne suis pas prude pour un sous. Je suis même pour que mes enfants utilisent les vrais termes plutôt qu'entendre parler de zizis et de zouzounes... Mais clitoris? Est-ce nécessaire, quand on sait que plusieurs femmes nées au début du XXe siècle ont découvert le leur au début de la révolution tranquille? J'en parle à Blondinette.
-Aimes-tu mieux qu'elle dise à tout le monde qu'elle a un pénis dans le vagin? fut sa seule réponse, mais quelle réponse!
-Ouais, tant qu'à ça! répondis-je.
Que voulez-vous? J'écris plus que je parle, surtout en me réveillant.
***
Ouais. Qu'est-ce que je fais de mes gars. Plus ça va, plus ils s'enfoncent dans leur univers. Je garde espoir que les hormones et leurs désirs de plaire aux filles les feront évoluer bientôt. Leur donneront le goût d'impressionner mes têtes fortes. En attendant, ils m'entendront leur dire, parfois même leur crier de se calmer. Et ils continueront de voir des yeux en l'air et d'entendre des rires moqueurs à peine camouflés.
Il y a des fois où, lorsqu'ils voient ces grandes filles être plus drôles qu'eux, prendre plus de place qu'eux à l'école et surtout, lorsqu'ils "mangent une garnotte" en plein cour d'éduc., ils doivent se dire intérieurement:
-Ces filles, ont-elles un pénis dans le vagin?

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Bin, c'est la maêm chose, l'appareil génital féminin et le masculin, disposé différemment. le clitoris est un pénis et vise versa...

Et oui, il y a beaucoup detravail, d'éducation, dechangements sociaux à faire pour que les stéréotypes changent. Un pas en avant et plusieurs en arrière dans ce domaine, ave toute la technologie médiatique, ludique, etc. à leur service.

Je me rappelle d'une discussion entre amis où les gars et les filles ne voulaient pas avoir de garçon, tellement ça les décourageaient et en même temps, ils disaient, mais les nouveaux garçons, qui va les faire si on n'en fait pas...

Les nouvelles filles, c'est pas donné, acquis non plus.

Hé, t'as pansé à moi! Décidément, t'es trop gentil, toi. Merci!


Zed :)))

Anonyme a dit…

Désolée pour l'amalgame de coquilles, longue journée... Zed (Aïe!)

Anonyme a dit…

Oh que je m'ennuie de cette gang! Je souhaiterais être là pour leur dire :"bien joué" quand elles garnottent un gars (ou qu'elles frittent comme ils disent ici!)
Comme j'aimerais participer à ces sourires moqueurs...
Comme j'aimerais leur dire que même si elles ont un pénis dans le vagin elles vont très bien s'en sortir et peut-être devenir prof d'éduc!
Comme j'aimerais être là pour les regarder s'épanouir et devenir des ados/femmes...
En leur rappelant de laisser la place aux autres de temps en temps! ;)
J'espère que tu trouveras un moyen de leur dire à quel point elles me manquent et comme j'aurais aimé être là pour leur dernière année...
C'est le coeur gros, mais aussi rempli de fierté que j'ai lu ton texte!
Bravo pour la plume et pour ton "senti" des élèves!
Lâches pas!

xx

Prof Malgré Tout a dit…

Prof en exil : Tu ne nous as jamais dit que tu avais un pénis dans le vagin... Et c'est maintenant que tu en parles.

Ben moi aussi, j'en ai un!

En saignant : Bon punch à la fin!

Anonyme a dit…

Bon j'aurais pu tomber dans la joke facile et dire que j'aimerais bien avoir un pénis dans le vagin...
mais en fait c'est que en saignant a trouvé de bons mots pour décrire comment on peut se sentir perçue par les autres quand on est "tom boy"...

mais j'ai aussi senti un découragemment face à l'homme qui ne prend plus sa place comme il devrait! ;)
Je ne me lancerai pas dans un texte féministe, mais je trouve ça bien qu'elles prennent de la place, même si elles en prennent trop... elles vont apprendre avec le temps! ;)

L'ensaignant a dit…

c'est officiel, mon blog est maintenant x-rated :)

Une femme libre a dit…

Délicieux billet. De un, vous êtes bien chanceux de pouvoir faire la sieste en plein après-midi. De deux, mes filles sont d'origine haïtienne et des magnifiques rallonges dans leurs cheveux, saviez-vous que ça prend une fin de semaine pour leur faire la tête? C'est d'ailleurs le sujet de discussion par excellence, les cheveux chez les filles noires, du temps,de l'argent, de la douleur, de la patience en masse mais que de fierté.

L'ensaignant a dit…

Zed: Merci pour le petit cours d'anatomie. :)

Ce qu'il manque à ces nouveaux garçons, je crains bien, ce sont des pères présents et exigeants envers eux, pour leur montrer que la réussite académique n'est pas une affaire de sexe.

Prof en Exil: Nos filles sont toujours aussi belles et je ne m'inquiète pas tellement de la place qu'elles prennent. C'est plus la place, vide, que les garçons laissent qui m'inquiète. Merci pour le beau commentaire.

PMT: Pour le punch de la fin, je n'ai aucun mérite, je suis amateur de boxe (aaaaaaaahhhhhhhhhhh, aaaaaaaahhhhhh, aaaaaaaaaahhhhh!). Appellons celà de l'humour de fin de semaine.


Femme libre: Elles ont de quoi en être fiers car il n'y a rien de tel pour colorer une classe morne. Pour ce qui est du temps qui y est consacré, je l'avais bien deviné car elles arrivent souvent avec la moitié des cheveux de faits... Bienvenue sur mon blogue et merci pour le beau commentaire.

Anonyme a dit…

Ahhh depuis que les cours de sexo sont disparus des écoles, il n'y a plus rien pour informer les profs au sujet de leur corps, hein... Hihihihihihihi!

Mais il y a bien pire comme problème anatomique que d'avoir en permanence un pénis dans le vagin (même pour un garçon :D). Combien de gars n'avons-nous pas connus avec un cerveau dans le pénis, comme ces jeunes garçons dont tu parles, sans doute?

Vives les couleurs liiiiibres!

Je me disais justement que tu allais t'attirer une clientèle que j'ai souvent chez moi, avec tes jolis mots-clés. Juste pour te taquiner et provoquer une congestion chez Google, j'y ajoute gros seins et pubis rasé. Que je ne suis pas gentille... Honnnnn...

Si tu installes des stats, tu constateras que ça marche encore plusieurs années plus tard.

(Hihihihihihihi!) Zed :)