jeudi 10 janvier 2008

Gris foncé

mardi, 8 janvier 2008

FICTION
Il fait gris ce matin mais dans mon coeur, il fait soleil. Je retrouve ce matin mes élèves qui reviendront sûrement regaillardis par deux semaines de plein air et de rires en famille.
Je stationne mon auto et mon poulx s'accélère. J'ai tellement hâte de raconter à mes collègues ce que j'ai fait dans le Temps des Fêtes. Ces rires qui m'ont habités méritent d'être racontés, partagés.
J'embrasse les petites comme les grandes profs, leur rappelant entre deux souhaits de bonnes années comme je les apprécie avec leurs bons et leurs moins bons côtés.
À la cloche, je marche le plus vite que je peux. Si j'avais le droit de courir, c'est ce que je ferais, afin de pouvoir profiter d'eux ne serait-ce que cinq minutes de plus cette année.
Aussitôt qu'ils me voient, ils prennent leur rang en silence et je lis dans leurs yeux que je leur ai manqué. Certains s'empêchent d'essuyer les larmes qui se pointent au coin de leurs yeux. Moi-même, j'ai de la difficulté à croire que ce moment est enfin arrivé.
Nous montons en classe et aussitôt, nous nous mettons à nous raconter nos vacances.
-J'ai été chez mon père et il m'a ammené au musée!
-Le 2 janvier, j'ai été à l'Accueil Bonneau servir des repas et j'ai réalisé à quel point j'étais chanceuse de ce que j'avais dans ma vie!
-Ma mère m'a amené au théâtre...
Et à ce moment-là, je comprends toute la chance que j'ai d'enseigner à un groupe aussi vivant et que tout se passera pour le mieux pour le dernier droit.
RÉALITÉ
Il fait gris ce matin, tout à l'image de mon petit coeur. J'ai trop consommé de Loutre, de Koala et de Blondinette durant les vacances et j'ai d'la misère à dégriser. Je retrouve ce matin mes élèves et je me demande comment ils seront. Fatigués, maganés, écorchés? Sont-ils seulement sortis dehors? Ont-ils soupé au moins une fois avec leurs parents?
Je stationne mon auto en échappant un long soupir. Dans ce soupir, il y a des tiraillages, une partie de cache-cache et des calins à profusion qui s'envolent dans l'air froid. Je n'ai pas le goût de revoir mes collègues. Je monterais dans ma classe directement, sans un mot mais je ne me donne pas le droit. Je n'ai pas envie de leur raconter mon Temps des Fêtes. Leurs réactions lorsque je leur raconterais mes flashs de bonheur me décevraient à coup sûr. M'écoutant d'une oreille, regardant dans une autre direction et s'échappant dès qu'une personne nouvelle entre dans la cuisine. Certaines choses sont tellement belles qu'on les garde pour soi.
Je n'embrasse personne, me contentant d'un "Bonne Année!" lâché bien fort. Ça compte, non? Je serai capable de me concentrer sur leurs bon côtés pendant un bout en tentant d'oublier leurs mauvais.
La cloche sonne dans l'école et résonne en moi. Je me dirige d'un pas lent, me décourageant du peu de motivation que je démontre après une si longue pause, tentant de retarder le moment. Ce n'est pas que je ne les aime pas, je les aime... c'est que j'en aime trop trois autres...
J'arrive devant le rang et ils me voient à peine. Je lis dans leurs yeux qu'ils auraient eux aussi prolongé leurs vacances. Cela nous permet un petit haussement de sourcils qui ressemble à une entente mutuelle. Ça nous fait du bien.
Nous montons en classe et, après avoir calmé les troupes qui ne se sont pas vus depuis deux semaines (c'est long à raconter, deux semaines...), je leur demande ce qu'ils ont fait durant leurs vacances.
Sur vingt-trois élèves, dix répondront. Les autres resteront dans leur silence. Un silence que mon coeur peuple des pires évènements mais que ma tête rationnalise. Peut-être que la tristesse se pleure plus qu'elle ne se raconte. Et pleurer pour un grand de onze ou douze ans, c'est génant en plus d'être douloureux. Les hormones qui sortent par les yeux, ça ne passe pas facilement.
CONCLUSION
Voilà! Je sais que vous aurez le goût de m'écrire de ne pas m'en faire. Que la fiction est souvent idyllique et je le comprends bien. Et je ne m'en fais pas. Les être humains, grands et petits jouent dans les teintes de gris plus souvent que dans le blanc et le noir, surtout dans le domaine des émotions.
Mais j'aime mieux le gris pâle que le gris foncé.

11 commentaires:

Le professeur masqué a dit…

Vous avez décrit mes sentiments de la rentrée avec des mots que je n'aurais pas trouvés moi-même. Des mots écrits en gris pâle sur une feuille gris foncé.

Ça fait un petit bout que j'ai envie de vous dire que votre plume me ravit.

Anonyme a dit…

Que c'est beau dans ton coeur...

Tiens, je parie que tu aimes, toi aussi, novembre.

Zed

(Je ne suis pas payée par PMT qui attend son pichet dès que ton nombre de visiteurs aura atteint les deux chiffres. Mais bon, le 1 et le 2, ça fait bien deux chiffres, non? Et ça, c'est juste pour ce billet.) :))

L'ensaignant a dit…

PM: Merci pour vos beaux mots. Si ma plume vous ravit, sachez que la vôtre m'instruit.

Zed: Vous avez raison, c'est beau dans mon coeur mais pas à cause de sa forme mais plutôt de ceux qui y habitent. Le problème avec un coeur comme le mien, c'est que si certains en ont des grands comme des 6-plex, le mien, c'est un bachelor.

Anonyme a dit…

Ne crains rien, ce qui est bien, avec un coeur, c'est que peu importe sa taille, c'est super flexible, surtout quand on prend soin de lui et qu'on oublie pas que c'est d'abord soi qui l'habite.

Pas dans le sens de « il faut s'aimer d'abord » chronologiquement. C'est synchroniquement ou en aller-retour, pour moi, ces trucs-là. Mais dans le sens que d'aimer les autres, ça passe par s'amer soi-même et prendre soin de soi. Sinon, comment prendre soin des autres?

C'est comme quand tu formates un tableau : tu cliques sur « ajuster au contenu » et le tour est jouer.

Dis, quel beau blogue, quelle magnifique sensibilité tu as. Trop irrésistible, te voilà dans mes liens.

Zed :)

Anonyme a dit…

joué désolée.

Zed :)

Hortensia a dit…

Quel beau texte malgré la tristesse du constat que vous y faites.

La Souimi a dit…

Magnifique texte, en effet. Mon retour était gris aussi. J'étais jalouse de ma copine et collègue qui avait décidé de prendre congé en ce lundi pédago. J'ai dû me farcir une réunion ennuyante pendant laquelle j'ai utilisé ma stratégie essentielle à ma santé mentale: je me suis enfermée dans ma bulle bien hermétique.
Puis j'ai refusé d'aller prendre l'apéro de bonne année à 15h00. Je me suis enfermée dans ma classe pour corriger jusqu'à 15h30 et j'ai sacré mon camp.
Premièrement, je ne suis plus capable de voir une goutte d'alcool et deuxièmement, mon Temps des Fêtes ne regarde que moi et celui des autres (sauf celui de mes amis) ne m'intéresse pas.

Bonne journée, En Saignant!

Le professeur masqué a dit…

J'ajoute ce commentaire pour qu'on puissse se rapprocher du 10 et pour exprimer ma joie que d'autres blogueurs vous découvrent.

Merci de votre compliment.

L'ensaignant a dit…

Zed: Merci. Tu fais du bien à mon coeur et ça me fait du bien de savoir qu'il existe un autre organe extensible dans mon corps ;)

Hortensia: Je sais, c'est pas toujours beau. C'est d'ailleurs pour celà que je tente d'entrecouper mes blogs tristounets avec des blogues plus légers. Je ne suis pas Christian Mistral, j'ai le droit de rire un peu... :) Merci pour le beau commentaire.

Souimi: C'est ce qu'on appelle la pudeur. Avec toutes les émissions de télé-réalité, on a tendance à oublier que c'est une forme de savoir-vivre. Merci pour le beau commentaire.

PM: Merci encore. Juste pour vous:

E.T.: Un enseignant d'orgine arabe est catapulté à Hérouxville pour y enseigner la morale. Il essaiera par tous les moyens de téléphoner afin qu'un autobus vienne le chercher.

Le professeur masqué a dit…

Échange de politesse (J'aime le concept. Au journal étudiant, je raffolais écrire de ces trucs...)

Un après-midi de chien: un jeune suppléant se retrouve à remplacer un enseignant désorganisé un vendredi après-midi dans une polyvalente du 450.

Dobby a dit…

Je lis, je lis!!! Et j'adore

Et même si ce n'est pas le message pour poster ce scénario, j'en profite pour le metre sans oublier, surtout qu'il est inspioré de la remarque de Souimi.

Ferris Bueller's Day Off:
Un enseignant au secondaire met au point un plan bien étoffé afin de faire l'école buissonière avec ses deux collègues préférés. Le directeur, trouvant l'affaire louche, décide de traquer les profs afin de leur faire payer l'affront de leur non-présence à l'élaboration du nouveau plan de réussite. Il finira, brisé, par demander à chacun un billet du médecin pour justifier leur absence, billet qu'ils obtiendront auprès du beau-frère de l'un d'eux. Le directeur, toujours aussi brisé, consultera le même beauf pour obtenir un billet pour partir en congé maladie à durée indéterminée.