Je suis sorti pelleté ce matin, seul cette fois. C'était tôt et Koala, Loutre et Blondinette étaient bien installées à déjeuner et commencer la journée doucement, par respect pour le congé imprévu... Moi, je regardais ce que Dame Nature nous avait laissé par la porte patio derrière Blondinette et je fatiguais. De la même façon que je fatigue quand nous avons des invités et que je vois la vaisselle sale traîner sur le comptoir. Je peux être fatiguant à ce point-là!
Ça m'a pris deux heures grâce à l'aide de mon voisin, que j'appellerai le Souffleur, because son amour de la machine à pelleter. Lorsqu'il fait tempête, je l'imagine commencer à s'exciter dans sa maison, enfilant ses bottes, ses gants et son manteau rouge tellement laid. Il doit tirer une chaise face à la fenêtre et regarder dehors en tapant du pied, se demandant quand enfin il pourrait se débarasser de cette saleté blanche. Ouais, une chaise droite de préférence car ces obsessifs-compulsifs ne doivent pas pouvoir s'échouer sur un fauteuil comme l'auteur de ces lignes en a fait une spécialité au fil des années. La jambe droite sous la jambe gauche afin de bien s'assurer d'avoir une colonie entière de fourmis lorsqu'il se lève. Anyway...
C'est drôle comment la neige semble moins lourde lorsqu'on est en congé. On dirait une journée bonus où rien peut nous déranger. On ne se sent pas obligé de faire quoi que ce soit car de toute façon, on aurait du être au travail alors bof! C'est donc les pieds gelés que je rentre dans la maison, fier de mon travail. Comme les hommes d'il y a cent ans, j'ai bûché durant tout l'hiver et je me tiens sur le pied de la porte, la neige tombant sur le tapis en attendant que Blondinette me saute dans les bras pour me raconter les évènements des dernières saisons, les yeux embrumés de me revoir enfin. Plus tard, elle lèvera sa jaquette et...
"Tu essuieras la neige avant qu'elle fasse de l'eau chéri..."
Bon, pour les fantasmes, on repassera.
Les enfants sont maintenant couchés, Blondinette a bravé la neige et est partie au Quartier dix-trente afin d'acheter un certificat-cadeau pour ma soeur et mon beau-frère comme cadeau de Nowelle. Dans un restaurant très chic avec une belle table, de belles chaises et de beaux coussins pour y apposer leurs culs précieux...
Je suis seul et comme je suis enfermé dans ma maison, je m'enferme dans mes pensées. Je pense à tous ces élèves qui sont passés dans ma classe et qui sont devenus soit ce qu'ils ont voulu, s'ils ont eu de la chance ou encore ce qu'ils ont pu.
Tout d'abord, il y a La Mal-Aimée. Elle a été dans ma classe de sixième année un an mais en réalité, elle habitait un autre pays. Un pays dont je suis à la fois le président et le fou du roi, la Graisse. Elle s'y était sûrement enrobée pour disparaître un peu ou encore pour que ça lui serve de muraille face aux menaces extérieures pour son petit coeur.
Je l'avais fait rire quelques fois durant l'année et j'en étais fier. Rien de plus beau qu'un rire contenu trop longtemps sous une montagne de malheur. Le son est différent, on le sent libérateur comme le premier orgasme.
Je ne l'ai revu qu'une seule fois depuis ce temps mais quelle rencontre. Elle était en secondaire 2 et je la vois s'approcher de moi, poussant une poussette avec un poussin suçant son pouce à l'intérieur.
-Tu as eu un frère? lui dis-je.
-Non, c'est mon garçon! qu'elle me répond.
-...
-Toi, tu enseignes toujours ici?
-...
-Tu es toujours avec Blondinette? qu'elle me demande.
-...
-C'est pour quand les enfants pour vous deux?
Quoi? C'est pour quand les enfants? J'étais habitué à cette question posée par la mère de l'un et de l'autre, par une tante que l'on a pas vu depuis Nowelle passé et qui croit que c'est la question la plus brillante qu'elle peut poser sans réaliser que c'est plutôt une question braillante. Mais venant d'une élève qui avait de la difficulté à avoir 55 en maths ET en français?
Maintenant, quelques années plus tard, à l'approche du Temps des Fêtes, je me demande ce qu'elle est devenue. J'aimerais croire qu'elle a rencontré un bon mec, qu'elle a trouvé dans l'amour de son enfant de quoi colmater les brèches dans son âme... Joyeux Noël où que tu sois, la Mal-Aimée...
Je pense aussi à mon Fils de Pute. Normalement, c'est une insulte gratuite et efficace mais pas dans ce cas-ci. C'est lui qui me l'avait annoncé d'une voix terne et trop "normale" pour les circonstances.
-En saignant, tu sais ce que je vais faire en fin de semaine?
-Non, Fils de Pute, dis-moi... (ça fait drôle comme phrase mais bon!)
-Je vais jouer à l'ordinateur jusqu'à deux heures du matin.
-Tu ne trouves pas ça tard?
-Bof, ma mère, elle va faire comme d'habitude. Elle va revenir de la brasserie saoûle bien raide avec un gars que j'ai jamais vu de ma vie. Ils vont aller dans sa chambre, ils vont fourrer toute la nuit, il va lui laisser de l'argent et il va partir. Ça fait que de toute façon, je ne pourrai pas dormir.
Ouch! Qu'est-ce qu'on dit dans ce temps là? J'ai sorti mon hochement de tête le plus compréhensif de mon arsenal et lui ai offert. Il s'en crissait. Il est retourné s'asseoir pour terminer le no.2 de la page 119 du FLG 5.
C'est le seul élève que j'ai fait doubler dans ma carrière, et vu la conjoncture de la réforme, sûrement qu'il gardera ce titre. Je l'avais gardé parce qu'à part avoir des 45 partout (la note minimale qu'on pouvait donner!), il semblait heureux dans ma classe.
Je l'ai revu plusieurs fois, trop souvent au fil des années. La première fois, il avait seulement les yeux vitreux. Bah, c'est l'initiation du secondaire, un passage obligé, etc. La deuxième fois, il avait encore les yeux vitreux mais avec en prime une cigarette accrochée à l'oreille qu'il se fit un plaisir d'allumer devant moi, sur le parvis de l'église, oups, excusez, sur le balcon de l'école.
Plus je le voyais, plus ça empirait. Il semblait vouloir m'étaler tous les effets que les différentes drogues peuvent faire sur le cerveau humain. Comme il n'était pas tellement intelligent pour commencer, ça ne changeait pas grand chose mais ça le rendait plus confu. Il devait s'être dit, écoeuré de la situation:
-Ouais, Fils de Pute, je suis tanné de ce nom là. Je crois que je vais dorénavant m'appeller Ostie de Drogué. Au moins, c'est un nom que j'aurai choisi.
Qu'est-ce qu'il advient de toi maintenant, mon Fils de Pute? Toujours à la recherche de je ne sais quoi? Un peu de bonheur dans tes journées, comme en 5e année B? Joyeux Noël!
Je trouve que dans ces deux histoires, je retrouve un de mes dilemmes enseignants préférés. Dois-je continuer à correspondre avec mes anciens élèves, les voir apparaître dans la cour d'école à tout bout de champ, attendant que je leur pose des questions sur ce qu'ils deviennent ou les laisser aller en leur répondant juste assez sèchement pour qu'ils comprennent qu'ils ont des expériences à aller vivre loin de moi?
Je crois que la réalité est un peu entre les deux. J'aimerais les voir une fois par année, passer la porte de ma classe et en resortir aussitôt. La journée de classe la plus courte de l'histoire enseignante. Comme moyen d'évaluation, une seule question, celle que j'ai posé le plus souvent dans ma carrière:
-Ça va ce matin?
-...
-Qu'est-ce qui se passe?
L'élève me raconte ce qu'il vit et j'ai pour lui soit une réponse ou mon célèbre regard empathique accompagné de mon hochement de tête compatissant et de mon sourire complice.
-Tu te sens mieux?
-Oui.
-Allez, à l'année prochaine!
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14 commentaires:
Et si les Mal-Aimée engendraient des Fils de Pute?
j'avoue que celle-là, je ne l'avais pas vu venir... mais ça fait plein de bon sens! Donc, sur qui la société devrait-elle agir en premier? Les Mal-Aimées ou les Fils de Pute? L'oeuf ou la poule? De notre côté, on doit se contenter d'aider l'oeuf à éclore.
Ouch.
Et ces enfants, c'est moi qui les vois en premier, dans mes classes de maternelle. Déjà, à ce moment, à voir la vie poquée ou la vie ouatée qu'ils ont, je peux dire sans me tromper qui sera/vivra quoi. Des fois, je voudrais fesser dans le mur, surtout quand je les revois en 5e année et que la prédiction devient de plus en plus proche de la réalité...
Oui, et dans la veine des choses, le père de Fils de pute va sacrer son camp pour laisser la Mal-Aimée avec son flot et une bouteille pour y noyer sa peine.
Et on parie que Mal-Aimée ne deviendra pas une poule de luxe.
Dobby: je te comprends. je dis souvent que l'avantage, malgré tous les questionnements que ça me cause, c'est que mes élèves quittent vers le secondaire. À part pour quelques uns, je n'ai pas tellement le temps de voir la déchéance.
PM: est-ce inévitable? devrait-on accentuer la communication entre les travailleurs sociaux et les enseignants? la DPJ devrait-elle écoute ce que l'on a à dire un peu plus? des P.I.A. pour les parents?
Je peux répondre à une des questions: l'oeuf vient nécessairement avant la poule. Il faut donc intervenir sur l'oeuf!
Pour le reste, je ne suis que prof de musique...
D'une façon sérieuse, je pense que ce n'est pas les loisirs et les sports qu'on aurait dû mixer avec l'éducation. On aurait dû y rattacher une partie de la santé et des services sociaux. À quand une école avec des vrais services intégrés? À quand un CSLC collé sur l'école? À quand une clinique familiale pas loin?
@Prof Masqué,
En clair, à quand des profs-adoptifs? Pourquoi ne pas tout simplement ramener à la maison tous ces enfants multi-pokés? Hum.
Juste pour mettre mon grain de sel. Ce n'est pas parce qu'on fait un môme à 15 ans, immensement triste, qu'il fera un fils de pute. Le mien est un roi d'coeur. ;-))
Tristes histoires...
Sur un autre sujet, plusieurs ont semblés choqués par ces histoirettes d'enseignants qui clôturaient tes deux premiers billets (tu permets que je te tutoies?). Je comprend leurs arguments, mais moi j'ai interprété cela comme étant un exemple de ce que la pression du métier d'enseignant peut pousser certains professeurs plus "fragiles" à commettre comme geste et comme paroles. Ce qui n'excuse en rien ces gestes et encore moins ces paroles, mais le métier d'enseignant est tellement dur, tellement demandant... Bon, c'est vrai que je ne suis pas enseignante, peut-être que je me trompe!
Bon blog, je reviendrai...
non, valérie-ann, tu ne te trompes pas. Seulement, si tu travailles dans le marketing par exemple et que la pression est trop pour toi, qu'est-ce que tu fais? Tu vas voir ailleurs si tu te sens mieux. Alors qu'en enseignement, à cause des avantages sociaux, plusieurs s'accrochent plus qu'une truite après un vers.
Reviens quand tu veux, tu es la bienvenue...
Il faut dire aussi que le système de supervison (adjoint, direction) ne fait pas son travail. Et que, comme on est en pénurie d'enseignants depuis plus de 10 ans, (eh que le temps passe vite...), on embauche et tolère bien des insompétents
@Prof Masqué,
"Et que, comme on est en pénurie d'enseignants depuis plus de 10 ans, (eh que le temps passe vite...), on embauche et tolère bien des incompétents."
Vous parlez bien ici des titulaires ou spécialistes non-légalement qualifiés à enseigner?
Si tel est le cas, je dois vous dire que je ne peux pas être d'accord avec vous. Les détenteurs de tolérance d'engagement ou d'autorisation provisoire d'enseignement n'ont pas moins de coeur que les détenteurs du bac en enseignement. Ce n'est pas deux ou trois (et encore!) cours de pédagogie qui rendent le bachelier émotivement compétent à intervenir auprès de jeunes. Il y a une grosse portion de nos capacités qui viennent de nos introspections antérieures. N'est-ce pas?
Les deux exemples amenés par Monsieur l'en saignant montrent des enseignantes ayant une grande pauvreté de coeur et d'intelligence émotive. C'est drette de la mesquinerie.
Est-ce qu'on reçoit un vaccin contre la mesquinerie à la collation des grades?
J'pense pas.
But.
Si ce n'est pas ce à quoi vous référiez dans votre commentaire, bin je vais aller prendre un 2ième café. ;-)) D'autant qu'il est maintenant 7h15 et le téléphone est demeuré muet ce matin, alors pas de suppléance aujourd'hui.
"C'est drôle comment la neige semble moins lourde lorsqu'on est en congé. On dirait une journée bonus où rien peut nous déranger."
En effet!
Une peste: Actuellement, tolérance, diplôme ou pas, on engage bien des gens qu'on n'aurait pas pris il y a quelque 10 ans. Comme on est en pénurie, en autant que le candidat n'a pas de dossier criminel, ça passe. Je ne dis pas que tous les engagés sont incompétents, loin de là. Mais avec la loi de l'offre et de la demande...
Je ne le dis pas le coeur joyeux, soyez certaine.
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