Nan, allons-y plutôt avec quelques écarts de conduite, quelques conneries dont moi seul semble avoir le tour. Des situations cocasses arrivées dans ma classe au fil des années et, si elles ne me mettent pas particulièrement en valeur, permettent aux élèves de se souvenir de moi un peu plus longtemps qu'uniquement par mon enseignement.
La fois de l'agenda (1997)
Chers spectateurs, transportons-nous dans une classe de cinquième année d'une école primaire de Montréal. Vous voyez le gros monsieur en avant de la classe? Oui, oui, celui dont les oreilles sont en train de devenir aussi rouges que le rouge à lèvre de Mme Losique? Eh bien, nous allons bientôt assister à une scène aussi pathétique que tragi-comique.
Il vient de sermonner habilement, avec des mots bien choisis pour qu'ils fassent mal, Grandes Dents. Il faut comprendre que Grandes Dents a une aptitude à rendre à bout tous les enseignants avec lesquels il a cohabité durant 180 jours. Et notre En Saignant n'y échappe pas. Il est à cette époque un jeune En Saignant, tout frais sorti de cette usine à profs socialistes que l'on appelle l'U.Q.A.M. Il n'a pas encore entendu parler de l'expression "less is more" et croit encore devoir faire un effet monstre dans chacune de ses interventions.
Grandes Dents se lève de sa place pour apporter son agenda et ainsi se plier, après plusieurs minutes de négociation, aux demandes de son enseignant aux oreilles écarlates. Il s'approche, tout en étant certain de bousculer quelques Endormis au passage, ce qui leur donnera la chance de lever la tête pour la seule fois de la journée. Arrivé près du bureau de l'En Saignant, il balance son agenda vers le haut et, pour être certain que l'effet sera réussi, la laisse retomber de toutes ses forces sur le bureau. Ooooooohhhhhhhh... Regardez la réaction de l'En Saignant. Remarquez son souffle plus court, son regard assassin et surtout, regardez les oreilles. Est-ce de la honte? De la gêne? Mais non, c'est de la colère.
Et là, tout se déroule vite, trop vite pour le cerveau fâché du professeur. Il saisit l'agenda, regarde Grandes Dents et, pour être bien certain que tout le monde comprendra le geste brillant qu'il s'apprête à poser, lui jette:
-Ouin, ben voilà ce que j'en fais de ton agenda!
Et il lance l'objet, que dis-je, il catapulte l'objet vers la destination qu'il a choisi: le mur arrière de la classe. Ça fera un gros PAF et il est certain que Grandes Dents ne lui referra plus jamais le même coup.
L'objet s'élève dans les airs, un peu moins haut que l'En Saignant avait prévu, tourne vers la droite, tel qu'il ne l'avait pas prévu, perd de l'altitude et frappe de plein fouet le côté de la figure d'Élève Rejetée, qui était penchée sur son bureau, tentant de se faire oublier afin de ne pas se faire rejeter. Or, elle avait raison, elle n'a pas été rejetée. Seulement attrapée.
Grandes Dents rit, Élève Rejetée est surprise, les Endormis essuient la bave qui leur coule sur le côté de la bouche jusqu'à leur bureau et En Saignant n'a jamais été aussi petit dans ses caleçons.
Est-ce la reliure de l'agenda ou encore les pages qui faisaient FLAP, FLAP qui ont joué sur l'aérodynamisme du projectile? On ne le saura jamais car plus jamais ce truc fera partie du sac à truc de l'En Saignant. Et comme Élève Rejetée avait des Parents Muets, il n'y a pas eu d'appels à l'école.
La fois de la copie (1998)
Nous retrouvons En Saignant un an plus tard, beaucoup plus sage qu'avant. Enfin, beaucoup est un grand mot. Cette anecdote mettra en vedette votre humble blogger et Ado Estefan, une élève caractériellement plus développée que la moyenne.
Mme Estefan a fait un mauvais coup. Hélas, dans la mémoire d'En Saignant, c'est flou. C'était un mensonge car il lui donne comme conséquence de copier le verbe mentir aux six temps une seule fois. Pas méchant, hein? La voilà qui s'avance vers le trône du roi, les yeux enflammés de colères. Non, les oreilles d'En Saignant sont de couleur normale.
-Excuse-moi En Saignant, dit-elle de cette voix trop polie pour que ce soit de la politesse. Le verbe que je dois copier, c'est bien le verbe chier?
-Pardon?
-Oui, chier comme dans "va chier"? continua t'elle de sa voix hautaine.
-....
Transportons-nous dans la tête d'En Saignant. Quelles seraient les bonnes interventions dans un cas comme celui-ci? Demander à Ado de retourner à sa place et de l'attendre à la fin des classes? Nan, trop facile. La faire sortir de classe immédiatement et peut-être demander l'aide de la directrice? Nan, trop faible. Écoutons sa brillante réponse.
-Puisque c'est le verbe chier que tu veux conjuguer, tu le conjugueras 10 fois aux six temps!
Elle repart en furie, s'asseoit en position d'Ado sur sa chaise et fulmine. En Saignant recommence à enseigner en attendant d'en saigner quelques autres. Du coin de l'oeil, il voit Ado Estefan qui gratte son nez d'Ado avec son doigt d'Ado. Vous devinez lequel je présume.
-Oh, je crois que je me suis trompé. Ce ne sera pas dix fois la copie, ce sera vingt fois! décide t'il diplomatiquement.
Les larmes envahissent les yeux d'Ado. Pas des larmes d'Ado mais plutôt des larmes d'enfants.
Quelques minutes passent et même les Endormis sentent la tension qui règne dans la classe car leurs rêves habituels ont viré au cauchemar où quelqu'un les oblige à écouter et même à fournir un effort.
Alors qu'En Saignant montre à son groupe l'accord du participe passé avec être, Ado décide de ne pas se laisser abattre si facilement. Elle colle sur son bureau à l'envers un papier avec les mots suivants gribouillés dessus: EN SAIGNANT, VA CHIÉ!
-Excuse-moi, c'est quarante fois le verbe chier que tu auras à copier. Ainsi, tu seras capable de l'accorder...
Elle n'a plus bronché. Croyez-vous qu'Ado a terminé sa copie? Faisons un petit calcul rapide, histoire de bien comprendre la sévérité de la conséquence:
40 fois le verbe X 6 temps X 6 personnes = 1440 fois "je ch.."
Eh oui! Alors qu'on s'était réconciliés, environ un mois plus tard, Ado arrive à mon bureau avec des feuilles brochées de l'épaisseur du livre de l'oeuvre complète de Lynda Lemay.
Il y a quelques mois, je vais au Canadian Tire et qui j'apperçois? Ado à la caisse où je dois aller payer mes achats. On s'est fait un sourire, on a eu un contact très professionnel et elle a pris sa voix la plus polie pour me servir.
Voilà, deux évènements tirées au hasard dans mon sac à conneries. Est-ce que j'en suis fier? Pas du tout! J'espère qu'Élève Rejetée est devenue Amoureuse Aimée. Pour ce qui est de Grandes Dents, il m'a donné une belle leçon de vie sur l'humilité que devrait avoir chaque enseignant quant au futur qu'il entrevoit pour ses élèves.
Et moi? L'expérience et l'assurance qui vient avec font en sorte que je n'ai plus besoin d'écraser pour mieux régner. Et c'est là que tout le plaisir d'enseigner commence...
8 commentaires:
En saignant: pour l'agenda, vous avez été chanceux. Un peu plus et vous faisiez la une du Journal de Montréal... Ne jamais lancer des objets en classe (valable pour les élèves et les profs). On ne vous a pas montré cela dans votre université troskiste?
Il est vrai qu'on peut imposer une certaine discipline autrement qu'en écrabouillant. Si les élèves sentent que vous êtes là pour eux, que vous les aimez, que vous les respectez, un regard suffit à placer les tannants.
J'ai la chance d'enseigner dans la même école au même niveau depuis longtemps. Ma réputation est faite et, comme elle est solide et bonnne, je n'ai pas trop besoin de ces démonstrations de force qui peuvent mener à une escalade dangereuse.
pm c'est un peu prétentieux de penser qu'aucun de vos gestes au cours de votre carrière n'a été un flop monumental.
Peut-être n'a-t-il pas été de la nature de ceux mentionnés par en saignant, mais il y a sûrement quelques moments de votre carrière qui vous font monter le rouge aux joues...
parce que chaque prof se plante un jour ou l'autre...
mais pas tous les profs qui l'admettent...
Petit suisse: vous voulez la liste de mes conneries faites en classe ou comprendre que je faisais de l'ironie dans mon premier paragraphe puisque je viens de la même université?
Lors de ma première année d'enseignement, alors que je croyais être à l'abri des pertes de contrôle, j'ai, un jour, hurlé à un petit garçon très, très espiègle:" Ti-Jo, farme ta yeule!"
J'ai quitté la classe, je me suis dirigée vers le bureau de ma directrice et j'ai éclaté en sanglots. Je lui ai dit que j'allais perdre mon travail car je venais de faire une erreur monumentale. Elle a écouté mes jérémiades et m'a dit calmement:" On fait tous ça une fois dans notre carrière. On ne le refait plus ensuite, ne t'en fais pas."
C'était la seule et unique fois en 21 ans de carrière. Petit Suisse, ce n'est nullement de la prétention que de croire à la pédagogie humaniste. Il est très vrai aussi qu'une réputation nous suit et que c'est partie gagnée lorsqu'un historique positif nous précède.
En seignant, je viens de vous découvrir. Merci pour vos merveilleux écrits. Bonne Année!
PM: j'avais compris l'ironie de votre message. Est-ce que lancer des jurons fait partie des interdits???
Petit suisse: votre âme de chevalier me touche énormément. Mais allez lire PM et vous verrez que même les plus sérieux bloggers sont capables d'humour.
Souimi: merci pour le beau commentaire.
En saignant: j'ai parfois ce vilain défaut de posséder plusieurs niveaux de langage...
Quant à moi, le juron est à éviter, mais ce n'est pas toujours facile. J'ai de solides antécédents fa,iliaux. Il faut être conscient qu'on joue le rôle de modèle, alors on doit se surveiller. On peut aussi montrer aux jeunes à employer des patois rigolos, chasuble!
Dans certains cas, les sacres rappellent à certains jeunes des mots employés dans un contexte de violence familiale. Ils sont des déclencheurs émotifs dangereux.
Je vois pas en quoi ta réaction au sujet de la copie était mauvaise. Oui ça aurait pu facilement dégénérer, mais je pense que c'était la moins pire des réactions possibles, non ?
Je viens de découvrir ce blog, mais je sens que je vais y rester, ce sont des gens comme toi (vous ?), entre autre, qui font qu'à mon tour j'ai envie d'enseigner aujourd'hui.
Bonjour Jhon,
premièrement, bienvenue. Vous avez de la difficulté à comprendre pourquoi ma réaction face à la copie était mauvaise. Laissez-moi vous expliquer mon point de vue bien personnel qui n'était pas le même à l'époque.
Il y a une expression peu connue qui va comme suit: "Lorsqu'on est un géant, on n'a pas besoin de dire qu'on est un géant."
Avec les années, je ne me sens pas obligé d'asseoir mon autorité sur des gestes d'éclats comme celui-ci. Il suffit simplement de se sentir capitaine du bateau pour le devenir, c'est souvent aussi simple que ça!
Merci de votre intérêt et de vos beaux commentaires. À bientôt je l'espère.
Enregistrer un commentaire