Je ne l'avais pas vu au début. Tous mes grands de sixième année étaient arrivés en classe. Certains assis, ceux qui très rapidement passeraient inaperçus et puis il y avait ceux qui n'étaient pas à leur place. Ceux qui ne seraient jamais à leur place. On surestime toujours l'influence de l'enseignant sur le savoir-vivre des élèves.
Et puis, il y avait lui. Tout petit. Les cheveux bleus, le chandail en lambeau mais surtout, tout petit. C'est ce qui sautait aux yeux en premier. Je me suis approché. Pour le voir. En faisant bien attention de ne pas lui marcher dessus.
-Salut, bienvenue dans ma classe. Je me nomme Ensaignant et je suis ton prof pour cette année.
J'aurais bien voulu qu'il me réponde mais mon souffle l'avait projeté plus loin tellement il était léger. À travers le brouhaha des autres, on aurait juré une plume dans une envolée de cailloux. Je l'ai laissé reprendre son souffle, avaler l'attention que je lui avais donné. On fait trop facilement d'indigestions quand on est petit comme lui.
Les mois ont passé. Les devoirs non-faits s'accumulaient, les échecs se répétaient. À chaque jour, je m'approchais un peu plus. Lui parlais un peu plus. Il était mon renard.
On fait souvent la gaffe de parler trop fort près de ces gens-là. On veut tout savoir tout de suite parce qu'après, on n'aura plus le temps. Parce qu'après, il sera trop tard. Vite, vite, un jugement, surtout si c'est différent. On est des pédagogues, certes, mais on est aussi juge et jury. Si ça ne rentre pas dans le cadre, c'est que c'est trop... ou forcément, pas assez...
Mais j'ai respecté son rythme. Pour une fois, j'ai suivi une cadence qui n'était pas la mienne. Me suis même demandé si ce n'était pas mon propre rythme que je retrouvais.
Quand les premiers flocons sont tombés, il m'a sourit pour une première fois. J'ai fait un pas vers lui, voyant une ouverture mais son sourire a disparu aussitôt.
En revenant des vacances de Noël, il faisait partie du groupe qui s'était précipité vers moi, heureux de me retrouver dans la cour d'école. Il se tenait un peu en arrière mais il était avec eux.
À Pâques, juste après le deuxième bulletin, il a pleuré. J'aurais voulu le consoler mais je n'ai pas osé l'approcher. Je lui ai seulement fait mon plus beau sourire, de loin. Il n'a pas souri mais je jurerais que ses yeux ont dit merci.
À la remise des diplômes, au dernier jour de classe, il s'est approché timidement quand j'ai nommé son nom. Du bout des doigts, il a pris le bout de papier que je lui tendais. Il irait au secondaire, en CPF. Je n'avais pas le choix. Les coups de vent sont forts en CPF mais il résistera. Ou il s'envolera à jamais.
Juste avant de descendre du podium pour aller rejoindre les autres, il s'est retourné et m'a souri, les yeux remplis de larmes. Je lui ai souri. J'aurais pu m'approcher et entrer dans sa bulle mais je n'en ai rien fait. Car entre ses dents, j'étais le seul à pouvoir entendre ces mots qu'il me chuchotait sans parler.
-On s'aime de loin mais on s'aime, non?
Ma gorge s'est nouée.
-Oui, on s'aime.
Même de loin.
lundi 7 octobre 2013
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4 commentaires:
C'est avec un tel plaisir que je retrouve votre écriture. Je fus absente moi-même un bon bout de temps des blogues (sous des pseudos que vous avez jadis connus), mais l'écriture me manquait.
Content de vous relire aussi. Mais je saurais vraiment curieux de connaître les anciens pseudos... Wanna make a trade? ;-)
Le plus connu fut Morgane je crois.
Content de te retrouver. Vraiment. Laisse-moi ton e-mail a l'adresse lemondeensaignant@hotmail.com. Une trade, c'est une trade...
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