L'inspiration de ce billet vient des doutes de Bagoo sur son "orientation pédagogique".Ce n'est pas de ma faute. C'est la faute de l'U.Q.A.M. Obliger les futurs enseignants à aller faire un tour dans la jungle préscolaire pour plus d'un mois, ça pouvait sembler une bonne idée pour la plupart mais pas pour le principal intéressé. Vraiment pas. Résumé d'un chemin de croix.
Deuxième station: En Saignant est chargé de sa croixC'était le matin de la première rencontre. Le contact devait se faire vers les 8h00 du matin mais il y avait un grave problème. En fait, tout mon corps avait un grave problème. Il y avait eu un party la veille. Que dis-je, un party? Le party d'entre tous les partys. Et j'avais fait ma part pour l'animer, croyez-moi.
Le cadran sonne vers les 6h00 du matin, je suis couché dans mon lit, n'osant pas faire un geste. Mes yeux sont collés et je sens que ça ne va pas. Pas assez de sommeil, pas assez de temps passé entre la dernière consommation et le réveil. Je n'ai pas le choix, je me lève. Je pars aussi vite en diagonale, d'un pas chancelant et m'écrase dans le fauteuil de mon un et demi. Des sueurs apparaissent sur mon front. Je dois emprunter le Pont Jacques-Cartier. La diagonale m'ammène droit vers les montagnes russes de la Ronde. Je trouve l'idée drôle.
Je prends une douche, déjeune mais évite à tout prix la cigarette. Habituellement, je fume à jeûn mais là, je n'ose pas. Je laisse encore passer du temps. Je me rince la bouche au moins dix fois avec du Scope et celà semble donner un effet.
J'embarque dans la Saignantmobile et commence mon périple. Mon corps me suit environ un coin de rue en retard, ma tête est encore dans mon lit.
-Ce n'est pas grave, ils sont jeunes. Ils ne s'apercevront de rien. Pour l'odeur, ils croiront que c'est le voisin qui a pété et ils pèteront à leur tour. Ils trouveront celà drôle. Pour la marche en diagonale, ils croiront que je suis un clown et les minuscules-culs, ils adorent les clowns. Succès assuré!, me disais-je.
Sans trop réfléchir, je m'allume une cigarette et la tête se met à me tourner dans tous les sens. Je la jette aussitôt par la fenêtre et me met à regretter amèrement la soirée au bar. Pourquoi étais-je le seul à rencontrer son groupe le lendemain?
En garant ma voiture, à l'heure, je me rends compte que l'odeur remonte des profondeurs. Le Scope a des limites, surtout face à de multiples shooters dans l'estomac. Heureusement, j'ai de la gomme et en prend une.
Ma maître-associée m'accueille, je lui dis bonjour sans la regarder, tentant de lancer mon haleine vers la porte des toilettes située juste à côté. Elle m'invite à venir chercher les enfants avec elle par la porte de côté. Je la suis, ce ne peut pas être si pire que ça après tout. N'existe t'il pas une bonne poignée d'hommes enseignants en maternelle parmi les milliers de profs de la province?
Le troupeau entre, suivant le berger. Des pupilles tournées vers moi, des sourires qui s'accrochent aux lèvres. Ça va bien aller, je crois bien.
L'enseignante m'invite à m'asseoir en cercle avec les "namis". Les "namis"? C'est bizarre, dans l'univers où j'habite, mes "namis", ils ont 30 ou 40 ans. Anyway... Je m'asseois donc en cercle et aussitôt, j'ai une fillette qui vient s'asseoir entre mes jambes croisées, un garçon qui prend mon bras gauche et un autre qui renifle qui m'attrape le bras droit. N'en manque qu'un dans mon dos et... ah, le voilà! Y'a t'il déjà quelqu'un qui a mis les mots pudeur et petite-enfance dans la même phrase?
-Tu vois, ils t'aiment déjà! me lance t'elle.
-Oui, je vois, ne sachant plus par où respirer.
-Enseignan-an-an-te! dit une petite fille avec une lèvre supérieure peinturée de beurre d'arachide du matin.
-Oui, Peanut.
-Le monsieur, il a un shwing.
-Un quoi? dis-je, en regardant vers mon pantalon, un peu inquiet. Je remarque aussitôt que tout a l'air tranquille par là.
-Un quoi? répète l'enseignante.
-Un shwing-homme.
-Un quoi? dis-je.
-Un quoi? répète l'enseignante.
On aurait dit une famille de corneilles. Et après, nous dirons que ce sont les enfants qui sont les rapaces.
-Un che-wing-gum! épelle la petite.
-En Saignant, as-tu une gomme à mâcher? me demande ma maître-associée.
-Non, elle a dû mal voir, tu sais, les enfants et leur imagination... lui répondis-je.
Peanut prend une lèche sur ses lèvres (elle l'a fait exprès ce matin, j'en suis certain, pour pouvoir manger toute la journée!), me regarde les sourcils froncés et semble accepter la situation.
Je ne fais ni un, ni deux, j'avale ma gomme du mieux que je peux, mais elle ne passe tout simplement pas. Elle reste bloquée dans ma gorge. Je commence à tousser et tousser à propulser mes poumons à vingt mètres, éclaboussant les cheveux de ma cavalière devant moi.
-Ouach, c'est dégueulasse! s'écrie t'elle en se relevant.
-Comme du pipi de souris! crie un petit morveux.
-Ou du caca de chat! crie un autre.
-Qu'est-ce que j'ai dit sur le pipi et le caca? demande l'enseignante.
-LE PIPI ET LE CACA, C'EST PAR LÀ! crient les enfants, pointant de leurs petites mains la porte des toilettes.
J'ai arrêté de tousser, j'ai des sueurs plein le visage, le goût de la téquila qui remonte...
Le reste de la journée se passe sans autre anicroche majeure. À la toute fin, alors que les enfants viennent de quitter, l'enseignante s'approche de moi.
-En Saignant, j'aimerais te parler de quelque chose, me dit-elle doucement, comme seule une enseignante de préscolaire et PMT sont capables de le faire.
-Oui, je sais, c'est l'odeur, hein? Ce n'est vraiment pas mon genre de sortir lorsque je suis en classe le lendemain, vous savez? Mais c'était une belle soirée et bon... Mais ne vous en faites pas, ça ne se reproduira plus, promis. Vous pensez qu'ils s'en sont apperçu?
-Euh.... Je voulais juste te dire que je l'avais vu, moi aussi, la gomme, me dit-elle.
Soupir... Combien de jours, le stage?
Bientôt, la troisième station: En Saignant tombe sous le poids de sa croix