Elle a un nom que l'on retrouverait dans un film de fées de Walt Disney mais elle n'est pas née au Pays des Rêves mais bien dans un quartier défavorisé du sud-ouest. Au lieu de passer ses journées à répandre de la rosée sur les fleurs, elle essaie du mieux qu'elle peut. À sa vitesse.
Elle porte des lunettes aux montures bleues comme celles que portaient les femmes fatales des films d'avocats des années 80. De grosses montures rondes qui cadrent parfaitement avec son visage rond.
Lorsqu'elle parle, ses yeux se promènent partout comme des girouettes par grands vents. Elle semble chercher les réponses autour de moi, sur les murs, au plafond, dans le visage des autres. Pourtant, elle devrait savoir depuis longtemps que les seules réponses qui se trouvent dans les yeux et les bouches de ses compatriotes de classe sont celles qu'elle ne veut pas entendre.
Vous l'aurez deviné, je vous parle ici de la reject de ma classe.
Il y a des enfants dont on ne s'étonne pas des réactions hostiles qu'ils viennent chercher chez ceux qui les entourent. Car nous, les enseignants, nous sommes humains. Et ils viennent chercher notre dédain aussi. La seule différence avec les enfants, c'est que nous nous en voulons alors. Et nous cherchons plus longtemps la fleur dans le champs de mauvais herbes que des ti-culs de 11 ans.
Je la regarde aller depuis une semaine. Elle n'arrête jamais de travailler mais ne termine jamais rien. Son problème n'est pas la paresse, c'est la vitesse. Elle réfléchit, parle, écrit trop lentement. Pas par perfectionnisme, simplement parce que c'est ce qu'elle est. Et comme une fée qui ne battrait pas assez rapidement des ailes, parfois elle pique du nez. Mais elle se relève tout le temps. Car elle a une tête dure.
Dans quelques semaines, ce sera le cross-country. Une course de 1,7 km sur un terrain accidenté qui donne toujours lieu à quelques incidents un peu bizarres. L'an passé, elle a terminé 7e du volet participation qui réunissait quelques centaines de filles de son âge. Je la soupçonne d'avoir utilisé ses ailes pour en dépasser quelques-unes, toujours à la même vitesse.
Et pendant une journée, le lendemain, elle avait eu droit aux félicitations de tout le monde. Elle était devenue la Fée qui court vite plutôt que la Fée mal-aimée. Une journée après, elle avait retrouvée son titre. Celle qu'on accuse lorsqu'il n'y a personne à accuser et qui nous répond de ses grands yeux roulant dans leurs orbites, cherchant une réponse pour se défendre mais ne trouvant que le silence.
C'est un de nos plus grands défis qui m'est constamment rappelé par mon Ortho Préférée. Aimer. Pour mieux enseigner. Pour mieux faire comprendre les notions. Pour changer des vies. Pour faire battre des ailes de fée plus vite encore. Surtout, pour donner le goût aux autres d'aimer un peu plus, un peu plus longtemps.
On s'en reparle...